Presse marocaine : Quelques impressions … amazighes
Lahsen Oulhadj
Tout le monde s'accorde à dire que Tel Quel est un magazine on ne peut plus sérieux. Mais parfois il est vraiment à plaindre. Loin de moi de lui faire une quelconque leçon. Mais les faits sont là. Et têtus en plus. Ses journalistes sont malheureusement aussi atteints de cette maladie contagieuse qui consiste à enfermer, en faisant un pied de nez à l'Histoire et au bon sens, les Marocains, tous les Marocains dans le moule étouffant de l'arabisme. Ainsi donc ils ne peuvent être que des Arabes et le Maroc ne peut être que l'œuvre des Arabes. Vous en conviendrez, c'est plus que réducteur, inique, mensonger…
Coïncidence ou pas, actuellement, en France, fait rage une polémique déclenchée par quelques associations iraniennes. Elles s'insurgent à juste titre contre une exposition organisée à l'Institut du monde arabe dont l'intitulé est les sciences arabes. Il semble, et là j'avoue en toute modestie que je ne suis pas un spécialiste, que la majorité des scientifiques, dont il serait question lors de cette manifestation, ne soient même pas arabes. À en croire nos amis persans, ils n'ont fait qu'utiliser la lingua franca de leur époque, l'arabe, comme on utilise l'anglais aujourd'hui. Considérerait-on comme australien ou américain un Japonais parce qu'il a publié ses travaux en anglais ? Logiquement non. Mais il appert que les Arabes ont une tout autre perception des choses. Et ce n'est pas Tel Quel qui va le démentir.
Pour ce magazine, le premier Arabe qui aurait foulé l'Amérique, serait nommé Zemmouri. Tant mieux pour les Arabes. Sauf qu'il y a un hic et de taille. Son nom n'est absolument pas arabe. Il est typiquement amazigh. Selon un article de Mohamed Boudhan, le directeur de Tawiza, ce courageux monsieur serait originaire du Moyen-Atlas et plus précisément de la grande tribu amazigh d'Aït Bouzmmour. Mais pour le savoir, une connaissance minimale de la langue et de la culture amazighes est quand même nécessaire. Justement, c'est ce minimum qui fait horriblement défaut aux journalistes de Tel Quel.
La même chose peut être dite dans le cas de Najat Aâtabou. Cette artiste non moins connue, originaire étrangement elle aussi, de cette même région du Moyen-Atlas, a été estampillée arabe et même affublée d'un grand «représentante de la femme arabe ». Enfin, n'exagérons rien ! Je ne pense pas que la femme saoudienne ou égyptienne écouterait les mélopées atlassiennes de Najat. Je ne sais même si elle soupçonne son existence. Et même si c'est le cas, je doute fort qu'elle comprenne un traître mot de ses chants. C'est connu le darija pour les «frères et sœurs » du Moyen-Orient, au grand dam de notre faune exaltée de baâthistes, est un charabia incompréhensible. Faire donc de Najat Aâtabou le porte-voix de la femme arabe est tout bonnement d'un ridicule formidable.
Posons une vraie question, celle à laquelle les journalistes de Tel Quel n'ont pas pensé ou n'ont pas voulu penser. Tellement c'est normal, pour eux, qu'un ou une Amazigh chante en darija ou en arabe. Pour quelle raison donc Najat Aâtabou a-t-elle troqué son tamazight pour le darija? Je ne pense pas qu'on se réveille un beau matin en se disant : « désormais, je vais chanter en darija, rien qu'en darija ». Je sais que cette artiste a déjà chanté dans sa langue maternelle. Mais franchement, entre nous, si elle avait continué à le faire, est-ce qu'elle serait connue comme elle l'est maintenant? Passerait-elle dans les médias marocains? Serait-elle interviewée par Tel Quel? Aurait-elle l' «insigne honneur» de porter le titre de la femme arabe et même d'être sa parfaite représentante? J'en doute fort. Non parce que le tamazight est moins compris ou parce qu'il n'est pas «chantable» pour des handicaps qui lui sont intrinsèques, mais parce que, au Maroc, il y a un parti pris négatif généralisé vis-à-vis de tout ce qui est amazigh. Même si Tabaâmrante chante exclusivement en tamazight, elle est, et de loin, la première chanteuse à faire écouler dans le marché le plus grand nombre d'albums par an. Ses ventes sont à faire pâlir d'envie tous ses « légitimes » chanteurs et autres musiciens arabo-marocains. Pourtant, on ne la voit qu'extrêmement rarement dans «nos» médias. Des médias qui, jusqu'à nouvel ordre, ont une préférence toute particulière pour tout ce qui est moyen-oriental, arabe et occidental. Depuis belle lurette, leur devise est malheureusement « tout sauf l'amazighité ». Et ce n'est pas près de changer malgré l'IRCAM et malgré les beaux discours. Pour vous en convaincre, vous n'avez qu'à voir les dernières chaînes autorisées par le très officiel HACA.
Laissons Tel Quel, et parlons de la MAP. Je pense quand même que vous connaissez le sens de ce joli sigle. Pour ceux qui ne le savent pas, c'est le Maghreb arabe presse. Déjà le nom nous annonce la couleur. La suite ne sera donc pas surprenante. Dans une de ses dépêches de cette «prestigieuse» agence, connue pour être à cheval sur la déontologie professionnelle, on nous apprend que l'acteur Said Taghmaoui est le premier arabe à percer à Hollywood. Ce que je sais c'est que cet Agadirois pur sucre est fier de son identité amazighe – il l'a dit et répété au journal français, libération- d'autant plus qu'il parle parfaitement bien le tamazight même s'il a grandi en France.
Je ne sais pas ce que pense l'intéressé de ce nouveau titre que lui est décerné par la MAP, à l'insu de son plein gré. Mais reconnaissons que c'est quand même ridiculissime. C'est comme si nous, les Amazighs, avions considéré Omar Cherif, comme l'un des nôtres. Je suis sûr que les Arabes ne seraient pas contents et n'hésiteraient à nous le dire. Mais que voulez-vous, c'est la MAP. Arabiser à tout bout de champ est sa grande spécialité.
Toujours à propos de la presse marocaine. Je ne pourrais m'empêcher de dire un mot sur le dossier consacré par un magazine casablancais, le Reporter, au mouvement amazigh. Non, rassurez-vous, pour une fois on n'a rien arabisé. Mais la photo qui l'illustre accuse tous les fantasmes qu'une soit disant élite bien pensante peut se faire des Amazighs. De qui s'agit-elle? D'une jolie jeune femme d'Imi-lchil, reconnaissable facilement aux habits typiques de sa région.
Nonobstant le discours extrêmement moderne de la mouvance amazighe, évoqué en long et en large dans le même dossier, qu'à cela ne tienne. En guise d'illustration, les responsables du Reporter n'ont trouvé mieux qu'une photo folklorisatnte, dépréciative au demeurant, dégotée certainement dans je ne sais quel dépliant de l'office marocain du tourisme. Le message est clair : vous les Amazighs, vous aurez beau vous démener comme des diables, mais vous resterez toujours un peuple des cartes postales et autres fasicules touristiques. En un mot, un peuple exotique qui n'est évoqué que pour appâter les mordus des sensations fortes et du dépaysement total. C 'est triste, mais malheureusement c'est ainsi.
At least but not last, il serait intéressant d'évoquer un député de mon coin dans le Souss, Achtouken- arabisé arbitrairement et scandaleusement pour devenir, si absurde que cela puisse être, Chtouka. Il s'agit de Mohamed ben Said Aït Idder. Ce marxiste notoire –sans avoir jamais lu le Capital selon son propre aveu- et grand défenseur du bâathisme devant l'Éternel, a donné une interview au journal arabo-marocain, Al-Jarida.
Un point a retenu mon attention. A la question, intelligente du reste, s'il n'y a pas une contradiction entre son engagement indéfectible pour le nationalisme arabe et ses origines amazighes, Aït idder a eu cette réponse extrêmement intéressante. Lisons : « La culture dans laquelle j'ai été baignée, dit-il, à l'école et à l'université était exclusivement arabe. D'autant plus que l'arabe est la langue de l'Islam, de l'État et de la société. Je ne vois aucune contradiction entre parler le tamazight et mes engagements.»
Oui, peut-être ! Mais Aït Idder a oublié sciemment qu'il est «élu » par des gens qui ne parlent, dans la majorité des cas, même pas un seul mot d'arabe. Et que les errements débiles, parfois criminels, de l'arabisme et ses avatars sont l'un de leurs derniers soucis. Mais cette situation ne dérange pas outre mesure Aït Idder ! On ne trouverait donc pas mieux pour illustrer la schizophrénie d'une certaine élite et sa coupure abyssale des soucis terre à terre des masses silencieuses.
Étant donné que la réponse d'Aït Idder n'est vraiment pas consistante et encore moins convaincante. Faisons un peu dans l'humour ! Remplaçons « arabe » par « chinois ». Si on suit son raisonnement, on le verrait bien en ardent militant du nationalisme chinois, le tout sans les yeux bridés bien évidemment. Heureusement donc qu'il n'a pas reçu sa scolarisation en chinois.
Source: amazighworld.org