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4 avril 2006 2 04 /04 /avril /2006 13:40
 
Le Printemps berbère
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
Le Printemps berbère désigne l'ensemble des manifestations réclamant l'officialisation de la langue tamazight et la reconnaissance de l'identité et de la langue berbère en Algérie à partir de mars 1980 en Kabylie et à Alger. Il s'agit du premier mouvement populaire d'opposition aux autorités depuis l'indépendance du pays en 1962.

Les causes

Les berbérophones représentent de un quart à un tiers de la population algérienne. Depuis l'indépendance de ce pays, l'arabe succède au français comme langue officielle. La politique linguistique algérienne se traduit par une arabisation massive de l'administration et de l'enseignement. La réflexion sur la situation linguistique est d'abord le fait d'intellectuels expatriés (Taos Amrouche, Mouloud Mammeri et des membres de l'Académie berbère. A l'intérieur du pays, c'est en Kabylie que se trouve la plus importante concentration de berbérophones. L'université de Tizi Ouzou créée en 1977 est un lieu d'échange, y compris sur le plan culturel. Comme ailleurs, l'organisation de débats et de concerts, ainsi que la représentation de pièces en langue berbère sont soumises à autorisation et souvent refusés.

Les événements

10 mars 1980, les responsables du Centre universitaire de Tizi Ouzou annulent une conférence de l'écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne. Les personnes à l'origine de cette décision refusent de s'expliquer, il s'agirait d'un ordre émanant de l'État.

11 mars, manifestations à Tizi Ouzou, grèves en Kabylie et à Alger

7 avril, imposante manifestation à Alger. La répression est féroce et la journée se solde par une centaine d'arrestations, de nombreux blessés et peut être un mort. D'autres rassemblements ont lieu dans plusieurs villes en Kabylie.

7 avril, début de la grève à l'université de Tizi Ouzou.

8 avril, une autre manifestation converge vers Alger, mais sans réactions violentes des forces de police.

10 avril Grève générale en Kabylie. Le syndicat étudiant (UNJA) proche du gouvernement, dénonce des manifestants " téléguidés de l'extérieur ".

17 avril, dans un discours, le président algérien Chadli Bendjadid déclare que l'Algérie est un pays " arabe, musulman, algérien " et que la démocratie ne signifie pas l'anarchie ". Le même jour, les grévistes sont expulsés de l'hôpital de Tizi Ouzou et des locaux de la SONELEC

23 avril, l'université de Tizi Ouzou est prise d'assaut par les forces de l'ordre au cours de l'opération Mizrana.

Le mouvement se poursuit en faveur des 24 détenus condamnés à des peines de prison ferme.

Les conséquences

Politiquement, le Printemps berbère est le premier mouvement populaire spontané. Il ouvre la voie à une remise en cause du régime algérien. Ces émeutes préfigurent celle de ConstantineAlger en 1988. Sur le plan social, le mouvement traduit l'émergence d'une génération d'intellectuels engagés dans le combat démocratique (Tahar Djaout, Ferhat...). Sur le plan culturel, le Printemps berbère brise le tabou linguistique et culturel : il est la traduction d'une remise en cause de l'arabisation intensive de l'administration au détriment du berbère. Cette prise de conscience identitaire a également touché le Maroc voisin, où ces événements sont commémorés chaque année par les étudiants berbérophones.

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3 février 2006 5 03 /02 /février /2006 18:18
 APRÈS DEUX MILLE ANS DE MÉPRIS
Renaissance berbère au Maroc

 EN décidant, le 20 août 1994, que la langue des Berbères, le tamazight, parlée par plus d’un tiers de la population du Maroc, serait désormais enseignée « au moins au niveau du primaire », le roi Hassan II a pris une décision qui fera date. Elle ouvre la voie, dans l’ensemble du Maghreb, à une réparation historique à l’égard de la communauté berbère, dont la culture, l’identité et les droits ont été longtemps méprisés. Partout, les associations se multiplient, les revendications se précisent, les avancées s’accumulent, au point que beaucoup n’hésitent plus à parler d’une véritable renaissance berbère.

« Les Arabes, dehors ! » Ce cri, à Outerbate, dans le Haut-Atlas, ou dans d’autres régions montagneuses, est devenu de plus en plus fréquent. Dans sa radicalité excessive, il traduit l’effervescence que connaît, partout au Maroc, le mouvement berbère. En seulement quatre mois, la communauté amazigh (1) s’est engagée sur la voie d’un véritable bouleversement.

Les Berbères revendiquent une présence au Maghreb vieille de cinq mille ans. Le 12 janvier - Nouvel An, selon leur calendrier -, ils entameront l’année 2945. Géographiquement, leur communauté s’étend sur près de 5 millions de kilomètres carrés, de la frontière égypto-libyenne à l’Atlantique, et des côtes méditerranéennes au Niger, au Mali et au Burkina (les Touaregs aussi sont des Imazighen - ces « nomades » descendent, comme le mot l’indique, des Numides - et sont les seuls à avoir conservé, à travers les âges, leur écriture, le tifinagh). Quant à l’origine du mot « berbère », elle remonte à la culture gréco-latine, le terme barbarus désignant l’étranger à la cité, celui qui « ne sait pas parler » (ou seulement par des balbutiements, d’où l’onomatopée « bar-bare »), par extension, le « non-civilisé », le « sauvage », la « brute »... Cela explique pourquoi, sans renier totalement ce mot, les Berbères préfèrent le nom qu’ils se donnent dans leur langue, les Imazighen. Guerriers valeureux, réfugiés dans les montagnes lors des invasions aussi bien romaine (cf. la Guerre de Jugurtha, de Salluste) qu’arabe (cf. l’Histoire des Berbères, d’Ibn Khaldoun), ils surent résister avec succès au pouvoir central des sultans marocains (2) et eurent un rôle majeur dans la lutte contre la colonisation française et espagnole (3). Le protectorat tenta bien de jouer sur leurs spécificités (4) mais ne parvint pas à les rallier. Cependant, cette tentative de « débauchage colonial » bloqua pour longtemps toute revendication berbère, vite assimilée au « parti colonial » et à des visées sécessionnistes.


Presque tout le monde s’accorde désormais pour reconnaître que, les conquérants arabes du IXe siècle ayant été peu nombreux, la très grande majorité des Marocains a du sang berbère. Ce qui ne signifie pas nécessairement qu’ils sont berbérophones, plusieurs tribus ayant été arabisées de force très tôt, en particulier le long des côtes de l’Atlantique (5). Un blocage psycho-politique persistant avait empêché, jusqu’au recensement de septembre 1994, que soit demandé aux gens s’ils parlaient une langue berbère. Dans l’attente du dépouillement, les estimations avancées vont de 33 % à 80 % ! Le régime marocain fait preuve, depuis deux ou trois ans, d’une volonté d’ouverture. On l’a vu notamment avec la libération des prisonniers politiques ou encore la destruction du bagne de Tazmamart. Parallèlement fleurissent des associations culturelles berbères d’un type nouveau.

Les jeunes très actifs, à l’origine des nouvelles associations et des revues (6), sont souvent des déçus du monde politique. « Notre indépendance par rapport aux partis et aux autorités est l’un des facteurs de notre réussite », estime M. Ahmed Kikich, militant berbériste. Même M. Mahjoubi Aherdan, poète et peintre âgé d’« environ soixante-dix ans », qui fonda le Mouvement populaire (7) à la fin des années 50, déclare : « Ma démarche a toujours été politique pour imposer la culture ; mais elle devient plus culturelle que politique. »

En fait, dès le 5 août 1991, six associations (elles sont aujourd’hui onze) signaient la charte d’Agadir, « relative à la langue et à la culture tamazightes au Maroc ». Elles y déploraient « la marginalisation systématique de la langue et de la culture tamazightes » et se mettaient d’accord sur sept « objectifs à atteindre », dont « la stipulation dans la Constitution du caractère national de la langue tamazight à côté de la langue arabe ». Elles demandaient aussi « l’intégration de la langue et de la culture tamazightes dans divers domaines d’activités culturelles et éducatives, et leur insertion dans les programmes d’enseignement » ; et encore « le droit de cité dans les mass media écrits et audiovisuels ».

C’est dans ce contexte que devait survenir, le 1er mai 1994, la manifestation berbériste d’Errachidia. A l’origine de cet événement : l’association Tilelli (« Liberté » en tamazight) de Goulmima, oasis située à 60 kilomètres de la capitale provinciale, Errachidia. Cette association, signataire de la charte d’Agadir, est très active, dans une région dont les relations avec le pouvoir central, historiquement, ont toujours été tendues. Pour le président de Tilelli, M. Ali Harcherras, trente-deux ans, professeur au lycée de Goulmima, les berbéristes représentaient les deux tiers des participants au défilé du 1er mai 1994 organisé par la Confédération démocratique du travail (CDT) et l’Union générale des travailleurs marocains (UGTM). Ils scandaient des slogans mais portaient aussi force banderoles en français et en tamazight. Et insistaient tout particulièrement sur le statut officiel du tamazight, criant : « L’hébreu est enseigné, pas le tamazight » ; « Tamazight à l’école » ; « Pas de démocratie sans tamazight ». Lors du défilé, le pacha (sorte de sous-préfet) intervint pour réclamer - en vain - le retrait des banderoles en tamazight ; le défilé se termina sans incident. INTER Aucune prétention séparatiste S ELON M. Ahmed Kikich, trente-trois ans, professeur au même lycée, secrétaire du bureau local du Syndicat national des enseignants (SNE), à la fin de la manifestation, des « istiqlaliens (8) de l’UGTM désignèrent aux policiers les meneurs ». Conséquence : le 3 mai, sept enseignants de Goulmima et d’Errachidia, membres ou sympathisants de Tilelli, étaient interpellés. L’un d’eux sera frappé le premier jour, selon M. Harcherras. Tous seront interrogés - individuellement, menottés et les yeux bandés - sur les rébellions locales des dernières décennies, et sur leurs « rapports avec l’Algérie », alors qu’ils clament n’avoir « aucune prétention séparatiste ». Leur inculpation, dans ces circonstances, provoqua une surprise générale. Furent retenues contre eux, notamment, les charges de « troubles à l’ordre public » et « incitation à commettre des actes portant atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat », les autorités affirmant avoir découvert chez M. Harcherras des « documents compromettants échangés notamment avec des organisations étrangères ». Cela entraîna une protestation générale, et les autorités locales furent accusées de « violation de la liberté d’opinion ». Lors du procès, le 27 mai 1994, quatre militants, dont M. Kikich, furent relaxés, deux étaient condamnés à deux ans de prison et un à un an. Quelques semaines plus tard, les condamnés faisaient partie des 424 personnes amnistiées par Hassan II, leur peine étant ainsi effacée. Plusieurs interprétations sont données de cette affaire. M. Mimoun Habriche, rédacteur au quotidien communiste de langue française Al Bayane, estime qu’il s’est agi d’« une bévue d’un petit agent d’autorité locale qui n’a pas mesuré la portée de ses actes ». M. Driss Benzakri, vice-président de l’Organisation marocaine des droits de l’homme (OMDH), note que « beaucoup expliquent ces arrestations comme une mise en garde. Habituellement, au Maroc, quand le pouvoir procède à un changement politique, un mouvement de répression le précède pour en limiter la portée ». En tout cas, estime M. Ouzzin Aherdan, ancien député et directeur de la revue Tifinagh, « l’affaire de Goulmima a servi de révélateur dans tout le Maghreb ».

Avant même le dénouement de l’affaire, le gouvernement avait exquissé des gestes. C’est ainsi que le nouveau premier ministre, M. Abdellatif Filali, annonçait le 14 juin dernier, devant la Chambre des représentants, que la télévision publique allait désormais diffuser des informations en « langue tamazight » - la radio le fait déjà depuis plusieurs décennies. Et, en effet, depuis le 24 août 1994, la télévision présente un journal de douze minutes, reprenant trois fois les mêmes informations avec un présentateur différent pour chacun des trois parlers imazighen : tarifit du Rif (Nord), tamazight du Centre-Est et tachlahit du Sud. A cet égard, les critiques sont nombreuses chez les berbéristes (trop d’arabismes, volonté de diviser en insistant sur les dialectes, insuffisance des programmes en tamazight sur la chaîne publique (9). Mais tous sont d’accord pour parler d’un « pas positif ». « Grâce à la télévision, des millions de Berbères se sentent enfin pris en considération », note M. Ali Harcherras.



Mais, entre la déclaration du premier ministre et le début des journaux télévisés en berbère, le véritable bouleversement est venu du roi lui-même, dans un discours prononcé le 20 août 1994. Certes, à la différence du premier ministre, il ne parle pas de « langue » tamazight, mais de trois « dialectes », admettant qu’ils « font partie des composantes de notre authenticité ». Il tient à « mettre les choses au point : je ne suis absolument pas contre les dialectes ». Et il lance la « bombe » dont les ondes de choc n’ont pas fini d’affecter la société marocaine : « Il est indispensable, dit-il, au moins au niveau du primaire, de prévoir des tranches horaires pour l’enseignement de nos dialectes. » Même s’il rappelle que l’arabe est « la langue mère » du pays retenue dans la Constitution. Pour M. Brahim Akhiat, secrétaire général de l’Association marocaine de recherche et d’échanges culturels (AMREC), berbériste, il s’agit d’un « pas historique et clairvoyant ». Pour cet homme de cinquante-deux ans, Hassan II a ainsi « mis les points sur les i, non seulement en acceptant l’enseignement de la langue tamazight mais aussi en fixant l’orientation générale de l’avenir de la culture marocaine ». Certains sont moins optimistes, ils craignent qu’il ne s’agisse plutôt d’un « os à ronger » jeté aux berbéristes.

Il n’empêche, comme le fait remarquer M. Laaroussi, du ministère de l’information, « après le discours du souverain, personne n’osera se dire contre l’enseignement du berbère ». M. Mohamed Louafa, député et porte-parole du Parti de l’Istiqlal (droite nationaliste), insiste : « La première langue du pays doit être l’arabe, facteur d’unification » ; mais il ajoute : « L’Etat doit sauvegarder l’ensemble du patrimoine marocain, y compris le patrimoine berbère. »

Selon M. Mustapha El Alaoui, directeur de l’hebdomadaire indépendant en langue arabe Assiassi, « matériellement, on ne peut pas enseigner la langue berbère à l’école. Ce qu’a dit le roi est irréalisable... à court terme. Il faut dix à quinze ans ».

Dans une série de quatre articles publiés fin mai, M. El Alaoui avait dénoncé les « visées on ne dira pas sécessionnistes mais presque » de ceux qui veulent « propager la contagion du sida séparatiste », et des militants « manipulés de l’étranger » qui cherchent à « morceler le Maroc et à le découper ». Au sein du mouvement berbère, nul ne réclame ouvertement la création d’un Etat indépendant. Malgré ces bémols, M. Ouzzin Aherdan pense que le mouvement enclenché est « irréversible ». Mais comment mettre en oeuvre cet enseignement du berbère ? Pour lui, ces dialectes ont des « racines communes » et forment une « seule langue » pour laquelle « un travail d’unification est nécessaire » ; il faut « démarrer avec les trois grandes variantes et que tous les Marocains apprennent le tamazight comme une langue vivante. L’essentiel, c’est de commencer ».

Me Hassan Id Balkassm estime que, s’il y a une volonté politique accompagnée de fonds budgétaires, on peut débuter dès cette année. « Il y a 68 000 diplômés licenciés au chômage. Au moins 20 000 parlent berbère. S’ils sont formés pendant un an, ils pourront commencer dans deux ans à enseigner le tamazight de façon scientifique et performante. » Le camp berbériste n’a pas de position unifiée sur ce thème de l’enseignement et reste divisé sur la question de la graphie à adopter. Faut-il choisir le tifinagh, qui correspond le mieux à la langue mais est peu répandu ; les caractères latins, qui auraient l’avantage de favoriser la liaison avec le monde occidental et de faciliter l’accès à l’informatique ; ou les caractères arabes, qui sont les plus connus au Maroc ? D’autres se demandent s’il ne vaudrait pas mieux lutter d’abord pour l’alphabétisation (une étude récente a révélé que 65 % des Marocains sont analphabètes) plutôt que pour l’apprentissage du tamazight. M. Ali Harcherras rétorque vivement : « Alphabétiser les enfants du Rif ou de l’Atlas en arabe est absurde. Que feront-ils de l’écriture d’une langue qu’ils ne parlent pas ? »

Autre point de divergence, le statut de la langue. La charte d’Agadir réclame qu’elle soit reconnue comme « nationale ». M. Harcherras demande un statut officiel, de même que Me Id Balkassm. « On revendique l’égalité des langues et des cultures », affirme ce dernier, même s’il reconnaît que, pour des raisons tactiques, certains ne réclament pas tout de suite le statut officiel (reconnu seulement à l’arabe par la Constitution). « Il faut rendre le tamazight langue officielle », affirme M. Ouzzin Aherdan, qui admet toutefois que « le combat sera encore long ». « On ne va pas forcer notre roi à traduire ses discours, ajoute M. Aherdan, mais il faut que les gouverneurs et les juges, les gens de l’administration, apprennent le tamazight. »

Le journaliste communiste Mimoun Habriche, bien que Berbère d’origine, estime en revanche : « Les gens qui demandent le statut de langue officielle ne sont pas réalistes. La langue officielle ne peut être que l’arabe. » M. Mohamed Louafa, de l’lstiqlal, qui revendique lui aussi des origines berbères, insiste également pour que l’arabe reste la « première langue du pays ». « C’est une grave erreur que de demander que le berbère soit considéré comme une première langue officielle. » Sur le terrain, ce qui est nouveau c’est une certaine discrimination des Berbères à l’égard des « Arabes ». On l’a vu fin septembre, notamment, lors d’un incident dans le Haut-Atlas : un jeune voulait faire descendre d’un autocar bondé les passagers arabophones unilingues pour laisser la place aux seuls Berbères...

M. Ahmed Kikich divise le mouvement berbériste en trois camps : celui de la démocratie et de la tolérance culturelle (dans lequel il se situe) ; celui des « opportunistes » de la culture tamazight qui agissent par ambition personnelle ; et celui, enfin, des « chauvinistes » qui réclament « le départ des Arabes ». Ces derniers, selon lui, sont rares mais ont « une influence non négligeable ».



Tous cherchent à internationaliser leur cause, en tentant de renforcer les contacts avec l’ensemble du monde amazigh et en profitant des tribunes de l’ONU. Un mémorandum a été déposé par huit associations marocaines lors de la Conférence internationale des droits de l’homme à Vienne en juin 1993. Des militants berbéristes marocains ont participé, fin juillet 1994, à la session de Genève du groupe de travail de l’ONU sur les populations autochtones. A cette occasion a été arrêté le principe de tenir un congrès amazigh international. Une idée précisée, fin août, à Douarnenez, lors du 17e Festival du cinéma, consacré cette année « aux peuples berbères (10) ». Un comité de réflexion a été mis en place pour organiser ce congrès durant l’été 1996. « Ce qui a toujours nui aux Berbères, c’est leur isolement. Si l’on arrive à se regrouper, on constituera une force considérable, surtout au moment où le projet d’Union du Maghreb arabe a du plomb dans l’aile, estime M. Ouzzin Aherdan. Ce sera la première fois depuis deux mille ans, depuis Jugurtha, que les Berbères se regroupent. »

Joël Donnet.

Source: Monde-diplomatique.fr
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29 décembre 2005 4 29 /12 /décembre /2005 21:36
"Cacnaq" ou Sheshonq Ier.
Un berbère fondateur de la XXIIe dynastie en Egypte !

C’est en l’an 950 an avant Jésus Christ que ce désecndant d’un chef lybien (berbère) qui a établi sa domination sur Hiérakléopolis, en Moyenne-Égypte vers 1180 av. J.-C., qu’il réussit à imposer son pouvoir en Egypte. Et c’est cette date qui aurait été choisie, pendant les années 70, par des militants bebréristes, comme départ du "calendrier amazigh".

La pénétration libyenne en Egypte En revanche, il est certain que la vallée du Nil connut, aux heures de troubles, les incursions des Libyens. Dès la première dynastie (vers 3300 av. J.-C.), les documents, telle la palette de Nâmer, enregistrent les victoires du pharaon sur les Libyens. Ce sont eux que les textes désignent sous le nom de Tehenou et que les représentations figurées montrent armés de flèches et de boomerangs. La déesse Neit, dans les 4e et 5e nomes, est surnommée la "Libyenne". Le pharaon se voit loué de prendre "la grande couronne blanche [des mains] de ces très grands étrangers qui président aux Libyens". Alors exista, peut-être, un royaume égypto-libyen d’Occident.

Les monuments figurés nous représentent les luttes que livrèrent aux Libyens les rois de la Ve dynastie memphite pour mettre fin aux désordres qui précédèrent leur avènement (vers 2600). Luttes décisives puisque les Libyens paraissent n’avoir plus menacé l’Égypte jusqu’à la fin du Moyen-Empire. Ramsès II, après avoir repoussé une de leurs invasions, les enrôla pour parer au péril hittite (début du XIIIe siècle). Son fils Ménephtah les retrouva dans la puissante coalition des Peuples de la mer, contre-coup de l’expansion indo-européenne. Unis aux pirates nordiques, Lyciens, Shardanes de Sardes, gens de Sagalos, Tyrsènes de Lemnos et Achéens, les Lebou ou Libyens constituèrent le gros de l’armée qui attaqua vainement le Delta (1227). Ces Lebou étaient peut-être originaires de l’Atlas. On a remarqué que "leurs noms et ceux de leurs chefs rappellent exactement ceux des Numides de l’histoire classique" (Alexandre Moret). Ce furent eux en tout cas qui donnèrent son nom à la Libye et, à la tête d’une coalition hétérogène de Tèhenou et d’Indo-Européens, ils vont jouer dans l’histoire de l’Égypte un rôle capital. Ramsès III doit en fin de compte, vers 1189, en dépit d’une nette victoire près de Memphis, les installer par "dizaines de mille" dans le Delta, où ils se moquèrent de son contrôle.

À la faveur de l’anarchie qui suivit, un chef de Libyens mercenaires établit sa domination sur Hiérakléopolis, en Moyenne-Égypte. Son septième descendant, Sheshonq Ier, conquit le Delta, partagea le sol entre les Libyens et fonda la XXIIe dynastie (950). Le folklore nous dépeint alors, pour la première fois, une société éprise de batailles, très différente de la société égyptienne. Le royaume de Napata qui, à la fin du VIIIe siècle, s’étendit de la première cataracte à l’Abyssinie, n’eut pas, comme on le crut longtemps, pour fondateurs les descendants des anciens prophètes du dieu Amon. Les fouilles de Reisner ont prouvé que ce furent des Libyens qui, dans le pays de Koush, imposèrent leur autorité, comme les Libyens du Nord dans le Delta. C’étaient des cavaliers enthousiastes de leurs chevaux et non des conducteurs de chars comme les pharaons. Nul ne se montra plus docile aux directions d’Amon et de ses prêtres que ces étrangers installés en Égypte, et par eux le rayonnement de la civilisation égyptienne dut s’exercer sur les Libyens occidentaux et ses lointains reflets atteindre peut-être le "far west" africain.


Extrait de : Charles-André Julien, Histoire de l’Afrique du Nord (Des origines à 1830), Payot, Paris, 1951.

PP. 62-63, [II.Les débuts de l’histoire, La pénétration libyenne en Égypte.]

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17 novembre 2005 4 17 /11 /novembre /2005 20:11
Histoire du Maroc
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Sommaire

 

Résumé général de l'histoire du Maroc

Toutes les dates sont converties du calendrier hégirien, à une année prés, basé sur les récits d’Ibn Khaldoun, eux mêmes basés sur ceux d’Al-Bakri.

  • 1067-1147 : unification du Maghreb et de l’Andalousie par les Almoravides suivie d'une époque prospère liée aux échanges internationaux.
  • fin XIIe-début XIXe siècle : successions de périodes d'anarchie et de prospérité. Les Almoravides perdent l’Espagne en 1340. Début de la pression européenne à partir du XVIIIe siècle.
  • Foundation du Maroc 1641
  • 1844 : guerre franco-marocaine.
  • 1863 : traité franco-marocain favorable aux Français ; le pays reste toutefois indépendant.
  • 1901 : intervention française et pacification du sud du pays.
  • 1906 : accords d'Algésiras ouvrant largement le pays à l'Espagne et à la France.
  • 1912 : protectorat français sur la partie non espagnole ; intervention de Hubert Lyautey qui pacifiera le pays jusqu'en 1934.
  • 13 novembre 1914 bataille d'Elhri menée par Mouha ou Hammou Zayani.
  • 1921-1926 : guerre du Rif et réddition d'Abd el-Krim.
  • 1923 : Tanger ville internationale.
  • 1942 : débarquement des alliés à Casablanca. C'est pendant la guerre que se développeront les partis nationalistes.
  • 1956 : indépendance ; le statut de Tanger est aboli.
  • 1958 : le Rio de Oro colonie espagnole.
  • 1960 : violent tremblement de terre à Agadir.
  • 1961 : Hassan II roi du Maroc.
  • 1971-1972 : succession de complots contre le roi.
  • 1974 : l'Espagne songe à abandonner le Sahara Occidental.
  • 6 novembre 1975 : Marche Verte, 350 000 « volontaires » marchent juqu'à la frontière du Rio de Oro pour mettre fin à la présence espagnole sur ce territoire.
  • 1976 : une partie du Sahara espagnol est annexée par le Maroc (l'autre à la Mauritanie) avant d’en récupérer en totalité en 1979. Occupation militaire de la zone et lutte contre la guérilla du Polisario, qui revendique l'indépendance de l’ex-Sahara espagnol.
  • 1984 : émeutes du Rif.
  • 1991 : cessez-le-feu entre le Maroc et le Front Polisario (un référendum d'autodétermination du Sahara Occidental patronné par l'ONU est toujours prévu et toujours reporté).
  • 1994 : émeutes islamistes à Fès ; libération de nombreux prisonniers politiques.
  • 1996 : nouvelle constitution marquant la volonté de « modernité » du pays face aux intégristes islamistes.
  • 1997 : en novembre, premières élections législatives entièrement réalisées au suffrage universel. Le pays est gouverné par une coalition de centre-gauche, menée par l'USFP (Union socialiste des Forces populaires).
  • 1999 : mort en juillet du roi Hassan II remplacé par son fils Mohammed VI qui essaie d’entreprendre des réformes socio-économiques dans le pays.

Antiquité

Les Phéniciens, commerçants entreprenants, s'installent sur les côtes du Maroc dés le XIe siècle av. J.-C. et fondent des ports-comptoirs comme Tingi (Tanger) ou Lixus (Larache).

Les Romains s'y installent vers le IIe siècle av. J.-C., après la destruction de Carthage mais ils ne conquièrent qu'en 40 le royaume des Maures qui devient la Mauritanie tingitane. Leur domination se limite aux plaines du nord (Volubilis près de Meknès), ayant à lutter sans cesse contre les Berbères montagnards. Au IIIe siècle, ils se cantonnent dans les régions côtières.

Les Berbères de l'Afrique du Nord

Cette population habite le nord des pays du Maghreb : le Maroc, l'Algérie et la Tunisie ainsi que les sud de l'Espagne, du Portugal et les îles Canaries. La plupart d'entre-eux préfèrent le non d’Amazigh ou hommes libres. Leur histoire est mouvementée. Le terme berbère a été imposé par les arabes et les français.

Cette population habitait déjà les montagnes et les déserts des milliers d'années avant que l'Islam y soit introduit au VIIe siècle. Ces populations sont les descendants des maurisius, fondateurs de l'empire Cartagien, ou celui de Mauritanie tingitane dont la capitale est Tingis (Tanger actuellement). Leurs principales villes préhistoriques : Tingis, Ceuta, Malaga, Melilla, Tetouan, Asila, Cadix, Agador, Arzew, Tizi Ouzou, Bijaya, Setif... toutes situées dans le Maghreb et le sud de la péninsule ibérique.

Royaume de Nekor

Le royaume de Nekor était un émirat dans la zone qui correspond au Rif actuel au Maroc, avec une capital au début à Temsamane puis plus tard à Nekor. Il a été fondé par un immigré d'origine arabe méridionale, Al-Himyari de Mansour d'ibn de Salih en 710, par succession califale. Il convertit les tribus locales berbères à l'islam. Fatigué par les restrictions de la religion, ils le chassent en faveur d'une personne connue sous le nom d'az-Zaydi de la tribu de Nafza. Les Berbères changent d'avis et rappellent ensuite Ibn Salih. La dynastie des Banu Salih règne sur la région jusqu'en 1019.

À l'est, le royaume inclut les tribus de Zouagha et de Djeraoua d'Al-’Ais d'Abi d’ibn, à cinq jours de voyage de Nekor, encadrant au territoire du Matmata, Kebdana, Mernissa, Ghassasa du mont Herek, et de Qulu’Jarra, appartenant au Beni Ourtendi.

À l'ouest, il est prolongé au Beni Marwan de Ghomara et au Beni Humayd, et a encadré le Mestassa et le Senhaja. Derrière elle s’étendais jusqu’à l'Awraba, la bande de Ferhun, du Beni Oulid, du Zenata, du Beni Irnian, et du Beni Merasen de la bande du seigneur de Qasim de Sa.

Au nord, il était limité par la mer, à environ cinq milles de Nekor. En résumé, il occupait une certaine partie du rif marocain.

Les souverains Banu Salih furent :

  • Salih I ibn Mansur al-Himyari "al-’Abd as-Salih" (710-749)
  • al-Mu’tasim ibn Salih (749-?), connut pour être très pieu.
  • Idris I ibn Salih (?-760), qui decouvrit Nekor
  • Sa’id I ibn Idris (760-803) , qui a déplacé la capitale à Nekor. Sous son règne, Nekor fut saccagée par les Normands, qui capturèrent beaucoup de prisonniers, dont quelques uns qui furent rachetés par le souverain omeyyade d'Espagne. Plus tard, une partie de la tribu de Ghomara s'est révolté, mené par une personne appelée Segguen ; leur révolte a été mattée.
  • Salih II ibn Sa’id (803-864), dont le frère a mené une révolte contre lui, mais a été vaincu.
  • Sa’id I ibn Salihibn (864-916) ; son frère et oncle plus âgés ont mené une révolte non réussie contre lui, mais il a été finalement vaincu et tué par le Général fatimide Messala ibn Habus, qui a conquis le secteur durant six mois. Cependant, ses fils ont fui à Malaga auprès du calife omeyyade, et sont revenus une fois que Messala était parti de la région et chassa avec succès sa garnison.
  • Salih III ibn Sa’id (917-927) ; En remerciement, il a reconnu les califes omeyyade légitimes, de ce fait il transfère son allegeance nominale.
  • Abd Al-Badi ibn Salih "el-Mu’ayyid" (927-929) ; il a été vaincu et tué par un autre général fatimide, Musa ibn Abi’l-Afiya, qui a encore détruit Nekor. Cependant, la ville a été reprise et reconstruite par
  • Abu Ayyub Isma’il ibn ’Abd al-Malik ibn Abd ar-Rahman ibn Sa’id I ibn Salih (930?-935), qui a été vaincu et tué par encore un autre général fatimide, Sandal el-mawla. Cependant, quand Sandal est parti pour Fez, installant un gouverneur appelé Marmazu de la tribu des Ketama, les habitants se sont rebellés et installèrent à nouveau un autre membre de la dynastie.
  • Musa ibn Roumi ibn Abd as-Sami’ ibn Salih ibn Idris I ibn Salih (936?-940), qui a défait Marmazu et a envoyé sa tête au Calife omeyyade à Cordoue. Cependant, il a été bientôt exilé par son parent :
  • Abd as-Sami’ ibn Jurthum ibn Idris ibn Salih I ibn Mansour (940-947). Son peuple se revolta et le tua. Le peuple fit venir un de ses parent de Malaga.
  • Jurthoum ibn Ahmad ibn Ziyadat Allah ibn Sa’id I ibn Idris (947-970), qui adopta l’ecole de jurisprudence malékite.

Dès lors, le royaume demeura sous cette souveraineté jusqu'à ce que l'émir Azdâji Ya’la ibn Futuh l'ait conquise en 1019 et ait chassé la famille regnante.

Période pré-coloniale

  • 1894 : mort de Moulay-al-Hasan, proclamation du nouveau sultan, le jeune Moulay Abd el-Aziz. Mais la réalité du pouvoir appartient à Ba Ahmed, ce qui montre l’influence des éléments noirs dans les affaires marocaines.
  • 1900 : les finances marocaines prospèrent grâce aux résultats de l’action économique de Moulay al-Hasan. Cela garantit au Maroc l’indépendance nationale.
  • 1900 : mort de Ba Ahmed qui est remplacé par le prodigue Moulay Abd el-Aziz. Ces dépenses favorisent l’intervention des organismes de crédit européen dont la banque de Paris et des Pays-Bas.

La présence française

1856 les pressions europeenes sur le maroc aboutissent a un rigoureux traite commercial entre l'angleterre et le maroc offrant ainsi de grands avantages a l'empire britannique

  • 1902 - 1912 : la pénétration économique européenne s’intensifie à tel point que le sultan Moulay Hafid, frère de Moulay Abd el-Aziz, est contraint de signer en 1912 le traité de protectorat qu’est la convention de Fès.
  • 1907 : les forces françaises doivent intervenir pour protéger les nationaux.
  • 1907-1910 : Hubert Lyautey pacifie le Maroc oriental, le général Drude qui succède au général Amade doit pacifier le Maroc occidental
  • 1911 : les troupes françaises doivent dégager le Sultan assiégé dans Fès. Cette intervention déclenche la seconde crise marocaine.
  • 1912 : Hubert Lyautey est nommé résident général de France, ce qui provoque le soulèvement de tribus. Moulay Youssef remplace le sultan Moulay Hafid, il voit son autorité sur le Maroc affermie.
  • 1956 Indépendance du Maroc proclamée le 2 mars. Le sultan Sidi Mohammed ben Youssef prend le titre de roi Mohammed V. Hassan II lui succéda puis, actuellement, Mohammed VI.

La Première Guerre mondiale

  • 1915 : Hubert Lyautey reçoit l’ordre de Paris de retirer les troupes de l’intérieur pour les envoyer en France. Cette évacuation semble prématurée dans la mesure où la pacification se heurte encore à des mouvements rebelles soutenus par les Allemands.

La Guerre du Rif

Entre 1921 et 1926, le Rif se révolte contre l'Espagne, puis contre la France. En 1921, ils ont écrasé les forces espagnoles dans la fameuse bataille d'Anoual. Même le chef suprême des forces espagnoles, le général Silvestre a été tué, de grandes quantités d'armes et de munitions ont été confisquées. Et en 1922, Abd el-Krim proclame la République confédérée des Rifains. Madrid et Paris ont alors recours à des armes chimiques pour mater la rébellions. Les armées rifaines se sont rendues en mai 1926. Abd el-Krim est exilé sur l'île de la Réunion jusqu'en 1948.

La question du Sahara occidental

Le Maroc a partiellement annexé le Sahara occidental à la suite de la Marche verte en 1975, puis totalement en 1979. Le royaume fait face au désaccord de la Mauritanie qui elle aussi revendique ce territoire, de l'Algérie et surtout des populations sahraouies (Front Polisario) mais la résolution finale sur le statut du territoire reste suspendue à un référendum organisé par l'Organisation des Nations unies, qui a été reporté à plusieurs reprises à cause d'un désaccord entre les parties sur le recensement du corps électoral.

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22 octobre 2005 6 22 /10 /octobre /2005 00:00

L’histoire occultée du Maroc Par Driss Ksikes, avec Youssef Aït Akdim

Nos élèves apprennent dans leurs manuels une histoire tronquée, mythifiée du Maroc. Face à des séquences où l’occultation est flagrante, des spécialistes de renom nous aident à rétablir la vérité. Pour l’Histoire, la vraie.

Un manuel d’histoire n’est pas fait pour révéler toutes les vérités aux élèves. Il n’est pas fait non plus pour leur raconter des histoires. Certes, un ouvrage de classe censé vulgariser et transmettre toute l’histoire d’un pays, simplifie les périodes, gomme les nuances, passe outre les détails. Il participe, forcément, à consacrer des mythes nationaux. Mais entre livrer des vérités partielles et occulter des vérités nécessaires, il y a un pas que le Maroc a allégrement franchi. Le souci de mystifier est excessif chez nous, parce que le passé permet de mieux contrôler le présent et le discours historique aide à légitimer le pouvoir. Mais est-ce une raison pour livrer au Marocain de demain une version biaisée de son passé, qui ne tienne pas compte de ses origines, résistances, dissidences et autres révolutions ? Au vu des derniers manuels en date et des occultations majeures qui y persistent, on a toutes les raisons de croire que l’État est coupable. Le ministère de l’Éducation nationale établit des critères qui limitent fortement le champ de la vérité historique à mettre à la disposition des élèves. Il confie à des inspecteurs, déconnectés de la recherche universitaire, la tâche ardue d’éditer les manuels. Il ne jette pas les ponts avec les historiens, susceptibles d’apprécier scientifiquement l’effort des auteurs. Il confie à de simples cadres, peu à même de juger la justesse du propos historique, la tâche purement administrative de valider les ouvrages. Enfin, il édite des manuels avec des chapitres idéologiquement orientés, des zooms sur des événements triés selon leur degré de gloire, sans mise en contexte aucune pour en relativiser les faits. Face à une telle mascarade, nous avons interrogé des universitaires de renom sur des séquences tronquées à souhait, pour rétablir la vérité. Et pointer du doigt les mensonges.

Préhistoire et antiquité Officiellement, les Marocains n’ont pas d’origine identifiée "Les premiers habitants du Maroc sont des Berbères. Ils sont venus du Yémen et de Syrie, via la Nubie et l’Égypte". Le Maroc officiel, n’ayant plus un faible pour l’idéologie panarabe, ce gros mensonge ne figure plus dans nos manuels d’histoire. À la place, rien n’est dit sur les autochtones du pays. Omission volontaire ou manque de preuves scientifiques ?

En fait, ils sont de l’Atlas, de Nubie et d’Europe Les sites rupestres permettent d’attester, aujourd’hui, que les "pasteurs éleveurs de bœufs" étaient déjà à l’époque néolithique des Berbères. Les recherches prouvent aussi que l’écriture libyque (ancêtre du tifinagh), repérée dans l’Atlas et l’Anti-Atlas, date de 3000 ans. D’où viennent donc nos ancêtres les Imazighen ? D’Europe ? Du Sahara ? De l’Orient ? Les historiens les plus scrupuleux n’excluent aucune des trois pistes. Il s’agit d’un mélange : des habitants sédentarisés, dits les "paléo Berbères", auxquels s’adjoignent deux groupes venus de la Méditerranée orientale, les uns blonds car transitant par l’Europe et les autres noirs métissés, provenant de Nubie et d’Afrique orientale. Les Maxyes qu’évoque Hérodote comme habitants de l’Afrique du Nord au 5ème siècle Av. J-C ne sont autres que des Imazighen. Il décrit même le troc muet qu’ils effectuent avec les Carthaginois au-delà des colonnes d’Hercule. Les preuves ne manquent pas pour attester d’une civilisation berbère sempiternelle. Alors pourquoi occulter cette question des origines ?

À partir du 12ème siècle av J-C Officiellement, les Imazighen ont résisté aux invasions L’élève de première année de collège apprend que le Maroc antique était un carrefour de civilisations. Que les Phéniciens et les Carthaginois (12ème s. Av. J-C - 1er s. Ap. J-C) ont atterri au Maroc pour des raisons purement commerciales et n’ont eu qu’une influence culturelle sur les Imazighzen. Et que les Romains (1er - 4ème s. Ap. J-C) ont fini par occuper la Maurétanie tingitane (comprenant le nord du Maroc), mais ont buté sur la résistance farouche des dynasties amazighes, surtout les Bacchus, qui régnaient sur le Maroc, dans ses frontières actuelles. Ainsi, donc, les Imazighen sont réhabilités par l’histoire. Mais étaient-ils si résistants que cela ?

En fait, ils ont été envahis à plusieurs reprises Dans les manuels coloniaux, les Imazighen sont décrits comme un peuple "frappé d’une inaptitude congénitale à l’indépendance", dixit Charles André Julien. L’image qui était véhiculée, pour justifier le Protectorat, est celle d’une "cascade ininterrompue de dominations étrangères". Où se situe la vérité historique ? Il y a eu, certes, une période antérieure aux invasions, où une dynastie maurétanienne régnait. Depuis le 7ème siècle av. J-C, il y a eu une série de colonisations, plus ou moins partielles et peu contestées par les Imazighen. Lixus et Mogador ont été soumis aux Phéniciens. Les Carthaginois ne se contentaient pas de commercer avec nous, mais occupaient plusieurs de nos villes côtières. Venons-en aux Romains. Ils ont occupé le triangle Rabat - Tanger - Oujda. Certes, le meurtre de Ptolémée, fils de Juba, par Caligula, prouve qu’il y avait des velléités d’indépendance chez nos amazighes. Certes, le mot Arrumi, a d’abord été brandi par les Imazighen pour désigner les Romains avec mépris. Mais bien avant la colonisation datée au 1er siècle, des rois maurétaniens étaient des vassaux de Rome, Juba II a même été adopté par les Romains et l’un des rois de la dynastie Bacchus (établie au Maroc) a livré sans scrupule son rival algérien Jugurtha à Rome - nos voisins nous en veulent encore. Cinq siècles plus tard, nos colonisateurs ont rebroussé chemin. Peut-on parler de décolonisation ? Plutôt "déromanisation". Les historiens précisent que le Maroc d’alors était d’un enjeu mineur pour Rome. Ce qui arrive, après, et que les manuels gomment complètement, montre que la thèse des "invasions successives" n’est pas tout à fait farfelue. Après 40 ans de Vandales, les Byzantins ont pris le relais du 4ème au 7ème siècle. Malgré leur présence effective, confinée au Détroit, ils ont eu le temps d’essaimer des églises dans le pays profond (Aghmat, Ribat Chakir, etc.). Mais la christianisation n’a touché que certaines villes. Les campagnes, plus résistantes, sont restées juives ou païennes. Mais tout cela, nos élèves ne le sauront pas.

8ème - 10ème siècle Officiellement, les Idrissides ont fondé un État islamique L’élève fait une trêve, durant la majeure partie de la première année de collège, apprenant les bases de l’État islamique, le califat et l’apport des croisades. L’année d’après, il entame son cours d’histoire par l’avènement de l’État Idrisside musulman à Volubilis puis à Fès. L’accent est mis d’emblée sur le document de la bey’a et de longs passages sont alloués à la place prépondérante de Fès, comme capitale spirituelle et antenne de l’islam médiéval. Et les aléas de la conquête ?

En fait, certaines principautés leur ont échappés La conquête islamique n’a pas été de tout repos. L’Orient est en pleine crise de califat entre Ali et Moaouiya. Moussa Ibn Noussaïr, administrateur d’Ifriqia (actuelle Tunisie), arabise la société amazighe du Maghreb occidental, impose des impôts au profit de la capitale de l’empire musulman et recrute des esclaves pour mener sa guerre contre les Imazighen irréductibles. En réaction, le Maroc devient un refuge de kharijites (forme de dissidence religieuse). L’arrivée des Idrissides est rendue possible par la volonté de Damas d’accéder au Maghreb via la Méditerranée, afin de contrecarrer la Byzance chrétienne. Idriss Ier est établi en 788 comme "commandant de culte, de la guerre et des biens". Il est d’obédience zaïdie (chiite modéré) et doit se battre contre le sunnite Haroun Rachid, qui finira par commanditer son meurtre. Sur place, même son fils, Idriss II, ne pourra pas venir à bout de la principauté des Berghouata, établie au pays de Tamesna (entre Salé et Azemmour). Ces Imazighen développaient une religion mi-musulmane, mi-chrétienne, empreinte de paganisme et refusant de céder à l’arabisation forcée. Leur république a survécu jusqu’en 1148, sous les Almoravides. À l’époque, ces "hérétiques", devenus pieux, avaient même une ambassade à Cordoue. À partir du 10ème siècle, un mouvement similaire, des Lghmara, s’est insurgé contre "l’esclavagisme des Idrissides". Mais la dynastie idrisside ne souffrait pas uniquement de l’opposition autochtone. Même des concurrents venus d’Orient lui contestaient sa suprématie. Ainsi, à Nakour au Rif, un État concurrent, fondé par Salih, a survécu jusqu’au 11ème siècle. Et à Sijelmassa, une principauté kharijite, menée par les Bani Midrar, était aux aguets. Nul besoin de rappeler qu’après la mort d’Idriss II en 829, ses successeurs se sont longtemps combattus.

12ème siècle Officiellement, Mahdi Ibn Toumert était un saint Le fondateur de la dynastie almohade est mis en parallèle par les auteurs du manuel avec le sultan almoravide, Youssef Ibn Tachfine, pour sa bravoure. Il est présenté comme un homme du Souss, descendant du prophète, connu pour sa dévotion et sa science en matière religieuse, acquise en Orient. D’abord guide spirituel, reclus dans la montagne, il avait invité les gens à lui faire allégeance et ouvert la voie à une dynastie de califes. Presque naturellement.

En fait, c’était un zélote fanatique "Mahdi" n’était pas son prénom, mais son titre prophétique. Ibn Toumert était allé vers 1115 à Bagdad et Damas s’initier à la doctrine achaarite, orthodoxe. Il en est revenu tel un pur bigot. Traversant plusieurs villes marocaines pour trouver, enfin, refuge à Aghmat (près de Marrakech), il plaide un retour à l’islam des origines, interdit la mixité, en veut aux hommes qui portent des tuniques qui les féminisent, s’insurge contre les femmes du prince qui ne sont pas voilées et s’en prend au malékisme en vigueur. Se comportant d’abord comme imam, il est convaincu que le tawhidisme (unification de la foi, à l’origine de l’appellation, Almohades) doit devenir une morale imposée à tous. S’adressant en berbère à son auditoire dans les montagnes, il compose à partir de la mosquée de Tinmel d’où il agit, un groupe de dix adeptes puis un cercle de cinquante sympathisants, et déclenche une opération de purification morale au sein de la société. Pour les Almohades dont il est le fondateur spirituel, seuls les adeptes de l’almohadisme sont d’authentiques musulmans, les autres ont un islam suspect et sont tout simplement les "serviteurs" de cette dynastie de califes. Les premières cibles d’Ibn Toumert et de ses successeurs, sont les soufis et les juifs. Les premiers, dont Abdeslam Ibn Machich, Moulay Bouchaïb ou encore Abou Abbas Sebti, prônent l’égalité des croyants et se tiennent à l’écart, refusant tout contact avec le pouvoir. Quant aux seconds, ils sont obligés à se convertir et à porter des habits distinctifs en noir pour ne pas passer inaperçus. Le Maroc n’avait pas connu, jusqu’alors, de régime aussi fanatique.

13ème - 16ème siècle Officiellement, les Mérinides ont perdu le jihad Après avoir appris combien étaient vaillants les Almoravides et les Almohades et apprécié (bon point) le rationalisme d’Ibn Rochd, le jeune élève découvre que leurs successeurs, les Mérinides, avaient moins de poigne. La dynastie est étudiée sous le prisme de "la chute de l’empire marocain", avec un intitulé religieusement orienté, "le recul du jihad". Les premiers rois, surtout Yacoub, qui a tenté de relancer la conquête en Andalousie, sont mis en valeur. Quant aux autres, régnant près de trois siècles, pourtant, ils passent inaperçus. Seul compte leur intérêt pour l’architecture. Comme s’il s’agissait d’une consolation culturelle.

En fait, ils ont façonné le Makhzen d’aujourd’hui L’histoire officielle semble en vouloir aux Mérinides de ne pas avoir réussi à s’imposer aux impies. Or, la reprise en main de l’Andalousie par les chrétiens a été balisée par la défaite des Almohades dans la grande bataille de Las navas de Tolosa (1212), que l’on compare à un Waterloo médiéval. Cette question occulte l’apport essentiel de la dynastie des Mérinides, des éleveurs qui n’ont pas de dogme et s’avèrent être très pragmatiques. Au fil des sultans, ils jettent les bases du royaume chérifien. Première pierre angulaire, l’alliance avec les zaouiyas, la réhabilitation des marabouts et principalement celui de Moulay Idriss. Le révisionnisme des Idrissides permet de réécrire l’histoire du Maroc de manière à glorifier la genèse de l’État islamique. Le chérifisme est aussitôt érigé en valeur suprême. La descendance du prophète, en source de légitimation. Le malékisme, en culte officiel du pays. Au-delà de l’aspect architectural, les médersas se développent et les premiers mellahs accueillant les juifs sont conçus. C’est l’époque où Ibn Khaldoun observe la société et l’État. En trois siècles, les Mérinides ont connu des hauts et des bas, ont reconquis l’empire perdu, mais ont également connu une fin sans éclat, coïncidant et subissant avec la reprise en main de la Méditerranée par les Ibériques, depuis 1415.

15ème - 16ème siècle Officiellement, les Ibériques ont envahi Sebta et Mellilia En l’absence de détails majeurs sur la fin des Mérinides, l’élève apprend furtivement que les Portugais ont été saisis, durant le 15ème siècle, d’une fièvre possessive qui les a amenés à envahir toutes les côtes marocaines. Il saura les dates d’annexion des présides du Nord, (Sebta en 1415 et Melillia en 1497). On lui dira que la fin des Mérinides n’était pas glorieuse, mais on insistera sur l’arrivée salvatrice des Saadiens. Mais il ne saura jamais pourquoi des villes occupées par les Portugais ont été revendiquées aux Espagnols.

En fait, le Makhzen était divisé et faible Lorsque les Portugais s’emparent de Sebta en 1415, ils agissent à partir de deux villes phares, Grenade et Tunis. Les Mérinides sont en déconfiture et ne maîtrisent qu’un semblant d’État à Fès. Lorsqu’en 1497, Mellilia tombe, à son tour, dans l’escarcelle portugaise, les Ouattassides, faibles sultans arabes s’il en est, ne peuvent freiner l’élan de la Reconquista. La preuve, des forteresses sont érigées tout au long de la côte atlantique. Mellilia puis Sebta ont été acquises par l’Espagne contractuellement, en 1556 et 1580 (date de la réunion des deux couronnes de la péninsule). Plus tard, cinq sultans ont successivement signé des traités de paix et de commerce avec les Espagnols, s’engageant à défendre les présides de toute attaque des autochtones du Rif. La défaite marocaine lors de la guerre de Tétouan (1859) a constitué la dernière tentative spectaculaire de récupération des enclaves par la force. La rétrocession de ces deux présides n’a jamais été à l’ordre du jour, depuis. Aujourd’hui, à l’entrée de Mellilia, un panneau indique que cette ville est "espagnole 18 ans avant le royaume de Navarre".

16ème siècle Officiellement, Oued Al Makhazine a redoré le blason du Maroc Tout un chapitre est consacré à "la bataille des trois rois". L’élève y apprend qu’en cette année 1578, le roi Abdelmalek a chassé les occupants ibériques, condamné les Portugais à subir l’intrusion du roi espagnol Felipe II et redonné à l’État marocain son aura internationale. Les Portugais sont synonymes de "mécréants" et leur supériorité numérique une preuve que "c’est la foi qui gagne". Les auteurs du manuels insistent enfin sur le frère d’Abdelmalek, Ahmed Al Mansour, qui a régné depuis en maître sur un pays pacifié. Plus héroïque, tu meurs !

En fait, Allal El Fassi a ressuscité une fête juive Cet évènement n’est devenu central dans notre histoire officielle qu’après 1957, lorsque Allal El-Fassi décide de la commémoration en grande pompe du 400ème anniversaire de la bataille. Le récit fait la part belle aux oulémas de Fès et transforme la bataille en symbole d’opposition à la chrétienneté et à l’invasion européenne. Oublié le fait que Oued Al Makhazine n’était célébré que par les juifs du Maroc, en hommage à un sultan qui les avait protégés de l’Inquisition. Oublié le rite de pèlerinage qu’effectuaient les portugais depuis le 16ème siècle sur les lieux. Oublié le fait que Moutawakil, présenté par Allal El Fassi comme un "traître", était un dissident qui contestait le pouvoir à son frère. Oublié, enfin, le fait qu’Ahmed Al Mansour a ravi la vedette à Abdelmalek, l’artisan de la bataille. Voilà comment un mythe occulte les nuances historiques.

Fin du 17ème siècle Officiellement, Moulay Rachid a vite unifié seul le pays L’orientation idéologique du manuel n’est pas poussée jusqu’au point de nier la désunion du Maroc, à l’avènement des Alaouites. Une carte montre clairement les zones sous tutelle des zaouiyas Dila’i (autour de Fès), Semlali (sud de Marrakech), etc. Mais le but est de montrer la force unificatrice, d’abord de Moulay Rachid, puis de Moulay Ismaïl. Comme si tout cela allait de soi et provenait de la seule volonté des sultans.

En fait, la France l’a aidé et les Ottomans ont laissé faire Que l’on ne s’y méprenne pas, entre 1630 et 1640, les Alaouites représentent un peu plus qu’une zaouiya et une principauté parmi d’autres. Ils avaient, en plus, leur prestige de chérifs, la fierté d’avoir un ancêtre qui a fait du jihad en Andalousie et la renommée de grands guerriers. Il leur a fallu d’abord se débarrasser d’un rival au Tafilalet, Abou Mahalla. Une fois cette base acquise, cela a permis au fils aîné de Moulay Ali Cherif, Moulay Mohammed, de se frayer un chemin jusqu’à Fès. Triq Sultan est un sillon flanqué de tribus concurrentes. Son frère cadet, Moulay Rachid, s’était réfugié chez ses ennemis (Dila’, Semlali, Saadiens...) partout au Maroc, afin de les étudier. Plus tard, il a su parvenir jusqu’à la Méditerranée et évincer son frère en l’abattant. Plusieurs facteurs l’ont aidé. D’abord, il a pu recruter des disciples au Nord. Les Ottomans n’ont pas bloqué sa voie vers Oujda, parce qu’ils étaient en butte à des insurrections de tribus arabes du côté de Tlemçen. À l’Est, il a pu avoir un butin de guerre considérable en pillant le juif, Ibn Machaal. Plus tard, il a reçu, en contrebande, d’abondantes munitions de la France pour pouvoir mener à bien sa conquête des différentes zones, côtières essentiellement. Il n’y est pas parvenu d’emblée. Mais sa maîtrise de l’accès à la Méditerranée et des ressources caravanières provenant du Sahara lui a donné une belle longueur d’avance.

17ème-18ème siècle Officiellement, Moulay Ismaïl est un sultan - modèle Le fondateur de la ville de Meknès est présenté aux élèves comme le sultan musulman idéal qui a complété l’unification du pays. Appréciez ses qualités : il aimait les faibles, s’en prenait aux truands et aux méchants, luttait avec acharnement contre les impies, avait une armée d’esclaves qui lui vouaient obéissance par serment et assurait la sécurité des routes. Que veut le peuple ? N’est ce pas le modèle du chef d’un État central et fort ?

En fait, c’était un despote très contesté Régnant de 1672 à 1727, Moulay Ismaïl a passé 25 ans à résoudre les dissensions internes. Il s’est d’abord heurté aux ouléma et chorfa de Fès qui ont refusé de lui faire allégeance. D’où son choix de s’installer à Meknès. Les Dila’, chassés par Moulay Rachid, reviennent d’Alger pour se rebeller. Son neveu, Ibn Mouhriz, est son premier opposant, proclamé sultan alternatif à Fès, Taza et même au Souss. Cette épine royale lui collera au trône durant 14 années. Au Nord, Khadir Ghaylan est aussi coriace. Tous bénéficient, en plus, du soutien discret mais efficace des Ottomans. Ce sont ces mêmes Ottomans qui lui inspirent, semble-t-il, l’idée d’une armée d’esclaves (Abid Al Boukhari), qui ne dépendent pas de tribus mais du sultan directement. L’image d’Épinal vendue à tous est qu’une femme pouvait alors traverser le pays, de Massa à Oujda seule, sans rien craindre. Pure propagande. Parce que même durant sa seconde période de règne, les révoltes ne se sont pas tues. Ainsi, son fils, Mohamed El Alem, nommé gouverneur à Taroudant, s’est soulevé contre lui de 1700 à 1706. Pour mettre fin à sa dissidence, Moulay Ismaïl a ordonné de lui couper une jambe et un bras. Sa mort lente fut une tragédie sans nom. Vers la fin de règne du sultan alaouite, le despote et le chef d’État centralisateur se confondaient. Mais au lendemain de sa disparition, le Maroc rentre dans une phase d’anarchie, dite "la crise de 30 ans". Son armée de Abid, devient elle-même source de légitimité. Au gré des alliances (tribus Guich - Fès, Abid - Meknès...), le sultan Moulay Abdellah est intronisé et destitué cinq fois de suite. Finalement, le legs de Moulay Ismaïl a été encore moins glorieux que son règne.

Fin du 18ème siècle Officiellement, Moulay Slimane a bloqué les importations L’élève fait connaissance avec Moulay Slimane en le comparant à son prédécesseur, Mohamed Ibn Abdellah. Il en retient que ce dernier a ouvert la porte au monde extérieur et que le premier l’a refermée par "prudence". À travers des textes laudateurs, il apprend que Moulay Slimane était "bon", "pieux" et était devenu protectionniste, sous l’impulsion des "frères" ottomans. Son attitude anti-occidentale, lit-on dans le manuel, était très populaire. Mais d’où provenait-elle ?

En fait, il était pro-wahhabite Moulay Slimane était un sultan alem. Il était même plus un alem qu’un sultan. Avant d’être proclamé sultan en 1792, il préférait se consacrer à ses études théologiques dans le Tafilalet. Influencé par Al Ghazali (proche des malékites), mais surtout par Ibn Hanabal et Ibn Taymiyya, il a fortement rejeté toute forme d’innovation (bida’) au sein de la société, refusé aux soufis le recours au sama’ et à la musique et plaidé pour un retour à un islam rustre et sans fioritures. Tout cela l’a prédisposé à adopter la doctrine wahhabite, dont le fondateur Mohamed Abdelwahhab est mort l’année même de son intronisation. D’abord initié à la doctrine via les pèlerins, revenant du Haj, il s’est dans un premier temps abstenu de prendre position, afin de ne pas s’aliéner les Ottomans, franchement anti-wahhabites. Mais en 1811, il franchira le pas et enverra une délégation de cadis et alims au leader saoudien pour le rassurer : "Cette lettre vise à dissiper toute suspicion de votre part pour que vous n’alliez pas croire que nous sommes opposés à vos idées". La seule réserve émise par Moulay Slimane concernant le wahhabisme était son refus d’ex-communier les autres, sauf lorsqu’il s’agissait des impies. Ceci mis à part, il défendait une application stricte et exhaustive de la charia. Son exclusion des zaouias ne l’a pas empêché de soutenir les Derkaoua, devenus maîtres de l’Oranie. Mais fidèle à sa prudence politique, le sultan ne tient jamais sa promesse à Moulay Larbi de venir le soutenir à Tlemcen, de peur de susciter la colère des Ottomans. Résultat, ce même Moulay Larbi, rancunier, sera l’artisan de sa déposition 15 ans plus tard.

Début du 19ème siècle Officiellement, Lalla Maghnia a enterré le différend maroco-français Le cahier de charges du manuel d’histoire de la troisième année du collège (en chantier) exige des auteurs (inspecteurs) de parler de la convention de Lalla Maghnia, signée entre le Maroc et la France, à l’issue de la bataille d’Isly. "Nos commanditaires ne nous permettent pas de parler de la bataille elle-même. On y fera référence, furtivement, en évoquant les conditions de signature de la convention", confie cet inspecteur. Et les conséquences de la convention, à l’origine du flou frontalier entre le Maroc et l’Algérie ? "Tout dépendra de la curiosité des élèves et des enseignants".

En fait, la bataille d’Isly a mis à nu l’armée marocaine Lorsqu’en 1830, Alger tombe entre les mains des Français, un mythe s’effondre. La force de l’islam n’est plus qu’une chimère. Le Maroc connaît un essor commercial, sans précédent, avec la Grande-Bretagne et la France. Les habitants de Tlemcen font appel à Moulay Abderrahmane, comme le sultan musulman le plus proche, pour solliciter son aide. Ce dernier hésite et refuse leur bey’a dans un premier temps, avant de se rétracter et d’envoyer une armée d’émissaires. Face à la pression française qui exige son retrait, il se fait plus discret. Le chef de la zaouiya Kadiria, Mohieddine est alors sollicité et désigne son fils Abdelkader pour mener la résistance. Vers 1840, il maîtrise un territoire reconnu comme sien par les colonisateurs français. Le sultan marocain envoie, alors, des caravanes de vivres et de munitions, avec la bénédiction britannique. Le général Bugeaud intercepte l’expédition. La bataille d’Isly est alors déclenchée à 10 km d’Oujda. La défaite de l’armée marocaine en 1844 est cuisante. Depuis, Abdelkader, venu se réfugier à Beni Iznassen, gagne la confiance de la population locale mais suscite la harka du sultan qui le chasse de son territoire. La France menaçait de s’engouffrer dans le couloir de Taza et d’occuper Fès et les ports de Tanger et Mogador étaient pris en tenaille. Mais l’Espagne veillait au grain. Elle ne voulait pas être devancée, comme en Algérie, par les Français. Aussi, occupe-t-elle des ilôts avoisinant l’embouchure de la Moulouya en 1848. Les Marocains, encore sonnés par Isly, n’y ont opposé aucune résistance.

19ème-début du 20ème siècle Officiellement, les puissances étrangères nous convoitaient La situation au 19ème siècle qui prépare le terrain au Protectorat, les élèves ne l’apprécieront que sous le prisme unique de "la précipitation des puissances étrangères sur le Maroc". Au programme, les différentes contraintes signées, mais aussi les réformes imposées. Même la réforme fiscale qui a donné lieu, sous Moulay Abdelaziz, au Tertib (ancêtre de l’IGR) n’est lue que comme une solution soufflée par le consul britannique. Et le Makhzen dans tout cela ?

En fait, la guerre de Tétouan a ouvert leur appétit La guerre de Tétouan, appelée ainsi même si aucune bataille n’a lieu au sein de la ville, a lieu en 1859. Perdue par un Makhzen qui sous-estimait les Espagnols, elle a eu un effet désastreux sur l’armée, pour la deuxième fois défaite, sur les caisses de l’État obligé de verser 20 millions de douros, et sur l’intégrité territoriale, puisque des missionnaires espagnols sont même installés à Fès. Avec une France, désireuse d’emboîter le pas à son rival du Sud, le Maroc signe une convention qui limite encore plus son autonomie. À mesure que fleurit le commerce extérieur (10 fois plus qu’en 1830), les plus riches des Marocains perdant confiance en leur État sollicitent le statut de "protégés" aux puissances étrangères. Les sultans Moulay Hassan et Moulay Abdelaziz tentent des réformes, militaires et fiscales. La première échoue, parce que le pays du Siba grossit et la seconde tombe à l’eau parce que les caïds et les notables, nantis du système, s’y opposent. Lorsque Moulay Abdelahafid est nommé "sultan du Jihad", les dès sont pipés. Le traité d’Algésiras de 1906 était déjà un protectorat international, décrié par la population, mais fatal. La cour était complètement corrompue et la révolte d’Abou Hmara (Jilali Zerhouni) encore vivace. En 1911, les troupes françaises campaient déjà à Fès. C’était fini. Bibliographie : Histoire du Maroc (Ed. Hatier)

Repères chronologiques

40 Ap. J-C. Caligula tue Ptolémée, fils du roi amazigh Juba, parce qu’il s’est présenté avec un burnous symbolisant ses velléités d’indépendance.

789 Idriss Ier fonde Fès, mais a encore du mal à islamiser le pays. Les znata, les Berghouata et plus tard Lghmara y résisteront.

1125 Ibn Toumert constitue son conseil des dix à Tinmel et lance la doctrine des Mouwahiddin (unificateurs de la foi).

1212 Les Almohades perdent la bataille de Las Navas de Tolosa, qui annonce le déclin de l’Andalousie musulmane

1578 La bataille de Oued Al Makhazine est un succès du saadien Ahmed Al Mansour, qui en profite pour évincer son frère Abdelmalek, artisan de la victoire.

1727 Au lendemain de la mort de Moulay Ismäïl, le pays subit une crise de 30 ans, dont est largement responsable son armée d’esclaves. Le sultan Moulay Abdellah est déposé 5 fois.

1844 L’armée de Moulay Abderrahmane, apportant son soutien à l’émir Abdelkader est interceptée et sévèrement défaite à Oued Isly par l’armée française.

1901 Moulay Abdelaziz veut imposer à toutes les tribus l’impôt du tertib, qui ne tient pas compte des privilèges. Mais les caïds et notables s’y opposent et pendant deux ans, aucun impôt n’est perçu par l’État.

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20 octobre 2005 4 20 /10 /octobre /2005 00:00
COMMENT LA BERBÉRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE
Gabriel CAMPS
Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, Aix-en-Provence, 1983, pp. 7-24.

Agezzul. Mamnek as nezdâr ad nakwez mas d idgharen lliten ikkan gan ayelli mu ttinin tafriqt tarumaniyt gan ghilad lemghrib aàrab. Aseàreb d ukeccum s lislam kigan ayad kkan llan. Akeccum n waàraben, lli isaten gh tasut tis sat, ur iman gh tezwuri d uzeddugh n midden. Mqqar gguten imazighen lli kcemnin s lislam, ghaman sul willi ganin irumiyen ar tasut tis sin d mrawt. Ad gin mdden aàraben s iles negh s insayen ur isat ar tasutin ggweranin. Iqbilen n iznaten irehhâlen ad igan imezwura lli ssekcmen waàraben s idels d wawal nnesen zegh aseggwas n 1050 llid inamaqqaren d umussu n iqbilen n Banu Hilal d Maàqil. Mqqar akw gan mdden ghilad imuslmen, aseàreb n imazighen sul urta isemd.

Résumé. Comment expliquer que les anciennes provinces romaines d’Afrique, en grande partie christianisées et constituant la région la plus prospère de l’Occident latin, soient devenues en quelques siècles le Maghreb arabe. L’islamisation et l’arabisation ne furent pas contemporaines. La conquête arabe, au VIIe siècle, fut le résultat d’une suite d’opérations militaires sans véritables tentatives de peuplement. La plus grande partie des populations berbères se convertit assez rapidement à l’Islam mais les dernières communautés chrétiennes ne disparurent qu’au XIIe siècle. L’arabisation par la langue et les coutumes fut plus tardive ; elle affecta massivement, en premier lieu, les Berbères du groupe zénète, pour la plupart nomades, qui s’assimilèrent aux tribus arabes bédouines (Béni Hilal, Béni Soleïme, …) à qui, en 1050, le Maghreb avait été « donné » par le calife fatimide du Caire. Alors que l’Islam a triomphé totalement depuis longtemps, l’arabisation est loin d’être achevée.

Abstract. How can one account for the fact that the ancient Roman provinces of Africa, in large part Christianized and forming the most prosperous region of Latin Occident, became, in a few centuries, the Arab Maghreb. Islamization and arabization were not contemporaneous. The Arab conquest in the seventh century was the result of a series of military operations without any real attempt at populating. The greater part of the Berber populations was converted fairly rapidly to Islam but the last Christian communities did not disappear until the twelfth century. Arabization through language and custom did not happen until much later; it massively affected, in the first place, the Berbers of the Zenete group, mostly nomads, who became assimilated to the Beduin Arab tribes (Beni Hilal, Beni Soleïm, …) to whom, in 1050, the Maghreb had been “given” by the Fatimite Calif of Cairo. Whereas Islam has triumphed totally long ago, arabization is still far from being completed.

Les pays de l’Afrique du Nord sont aujourd’hui des États musulmans qui reven­diquent, à juste titre, leur double appartenance à la communauté musulmane et au monde arabe. Or ces États, après bien des vicissitudes, ont pris la lointaine succes­sion d’une Afrique qui, à la fin de l’Antiquité, appartenait aussi sûrement au monde chrétien et à la communauté latine. Ce changement culturel, qui peut passer pour radical, ne s’est cependant accompagné d’aucune modification ethnique importante : Ce sont bien les mêmes hommes, ces Berbères dont beaucoup se croyaient romains et dont la plupart se sentent aujourd’hui arabes.

Comment expliquer cette transformation, qui apparaît d’autant plus profonde qu’il subsiste, dans certains de ces États mais dans des proportions très différentes, des groupes qui, tout en étant parfaitement musulmans, ne se considèrent nullement arabes et revendiquent aujourd’hui leur culture berbère [1] ?

Il importe, en premier lieu, de distinguer l’Islam de l’arabisme. Certes, ces deux concepts, l’un religieux, l’autre ethno-sociologique, sont très voisins l’un de l’autre puisque l’Islam est né chez les Arabes et qu’il fut, au début, propagé par eux. Il existe cependant au Proche-Orient des populations arabes ou arabisées qui sont demeurées chrétiennes, et on dénombre des dizaines de millions de musulmans qui ne sont ni arabes ni même arabisés (Noirs africains, Turcs, Iraniens, Afghans, Pakis­tanais, Indonésiens…). Tous les Berbères auraient pu, comme les Perses et les Turcs, être islamisés en restant eux-mêmes, en conservant leur langue, leur organisation sociale, leur culture. Apparemment, cela leur aurait même été plus facile puisqu’ils étaient plus nombreux que certaines populations qui ont conservé leur identité au sein de la communauté musulmane et qu’ils étaient plus éloignés du foyer initial de l’Islam.

Comment expliquer, aussi, que les provinces romaines d’Afrique, qui avaient été évangélisées au même rythme que les autres provinces de l’Empire romain et qui possédaient des églises vigoureuses, aient été entièrement islamisées alors qu’aux portes de l’Arabie ont subsisté des populations chrétiennes : Coptes des pays du Nil, Maronites du Liban, Nestoriens et Jacobites de Syrie et d’Iraq ?

Pour répondre à ces questions, l’historien doit remonter bien au-delà de l’évé­nement que fut la conquête arabe du VIIe siècle. Cette conquête, si elle permit l’islamisation, ne fut pas, cependant, la cause déterminante de l’arabisation. Celle-ci, qui lui fut postérieure de plusieurs siècles et qui n’est pas encore achevée, a des raisons beaucoup plus profondes ; en fait, dès la fin de l’Empire romain, nous assistons à un scénario qui en est comme l’image prophétique.

La fin d’un monde

Rome avait dominé l’Afrique, mais les provinces qu’elle y avait établies : Africa (divisée en Byzacène et Zeugitane), Numidie d’où avait été retranchée la Tripolitaine, les Maurétanies Sitifienne, Césarienne et Tingitane, avaient été romanisées à des degrés divers. En fait, il y eut deux Afrique romaines : À l’est, la province d’Afrique et son prolongement militaire, la Numidie, étaient très peuplés, prospères et large­ment urbanisés ; à l’ouest, les Maurétanies étaient des provinces de second ordre, limitées aux seules terres cultivables du Tell, alors qu’en Numidie et surtout en Tripolitaine, Rome est présente jusqu’en plein désert. Après le 1er siècle, toutes les grandes révoltes berbères qui secouèrent l’Afrique romaine eurent pour siège les Maurétanies.

Néanmoins Rome avait réussi, pendant quatre siècles, à contrôler les petits nomades des steppes ; grâce au système complexe du limes, elle contrôlait et filtrait leurs déplacements vers le Tell et les régions mises en valeur. C’était une organisa­tion du terrain en profondeur, comprenant des fossés, des murailles qui barraient les cols, des tours de guet, des fermes fortifiées et des garnisons établies dans des castella. R. Rebuffat, qui fouille un de ces camps à Ngem (Tripolitaine), a retrouvé les modestes archives de ce poste. Ces archives sont des ostraca, simples tessons sur lesquels étaient mentionnés, en quelques mots, les moindres événements : l’envoi en mission d’un légionnaire chez les Garamantes, ou le passage de quelques Garamantes conduisant quatre bourricots (Garamantes ducentes asinos IV…). Dès le IIe siècle, des produits romains, amphores, vases en verre, bijoux étaient importés par les Garamantes jusque dans leurs lointains ksour du Fezzan et des architectes romains construisaient des mausolées pour les familles princières de Garama (Djerma). Légionnaires et auxiliaires patrouillaient le long de pistes jalonnées de citernes et de postes militaires autour desquels s’organisaient de petits centres agricoles.

Trois siècles plus tard, la domination romaine s’effondre ; ce désert paisible s’est transformé en une bouche de l’enfer, d’où se ruent, vers les anciennes provinces, de farouches guerriers, les Levathae, les mêmes que les auteurs arabes appelleront plus tard Louata, qui appartiennent au groupe botr. Ces nomades chame­liers, venus de l’est, pénètrent dans les terres méridionales de la Byzacène et de Numidie qui avaient été mises en valeur au prix d’un rude effort soutenu pendant des siècles et font reculer puis disparaître l’agriculture permanente, en particulier ces oli­vettes dont les huileries ruinées parsèment aujourd’hui une steppe désolée [2].

Cette irruption de la vie nomade dans l’Afrique « utile » devait avoir des consé­quences incalculables. Modifiant durablement les genres de vie, elle prépare et annonce l’arabisation.

Le second événement historique qui bouleversa la structure sociologique du monde africain fut la conquête arabe.

Cette conquête fut facilitée par la faiblesse des Byzantins qui avaient détruit le royaume vandale et reconquis une partie de l’Afrique (533). Mais l’Afrique byzan­tine n’est plus l’Afrique romaine. Depuis deux siècles, ce malheureux pays était la proie de l’anarchie ; tous les ferments de désorganisation et de destruction économi­que s’étaient rassemblés. Depuis le débarquement des Vandales (429), la plus grande partie des anciennes provinces échappait à l’administration des États héritiers de Rome. Le royaume vandale, en Afrique, ne s’étendait qu’à la Tunisie actuelle et à une faible partie de l’Algérie orientale limitée au sud par l’Aurès et à l’est par le méridien de Constantine.

Dès la fin du règne de Thrasamond, vers 520, les nomades chameliers du groupe zénète pénètrent en Byzacène sous la conduite de Cabaon [3]. À partir de cette date, Vandales puis Byzantins doivent lutter sans cesse contre leurs incursions.

Le poème épique du dernier écrivain latin d’Afrique, la Johannide de Corippus, raconte les combats que le commandant des forces byzantines, Jean Troglita, dut conduire contre ces terribles adversaires alliés aux Maures de l’intérieur. Ces Berbères Laguantan ( = Levathae = Louata) sont restés païens. Ils adorent un dieu représenté par un taureau nommé Gurzil et un dieu guerrier, Sinifere [4]. Leurs chameaux, qui effrayent les chevaux de la cavalerie byzantine, sont disposés en cercle et protègent ainsi femmes et enfants qui suivent les nomades dans leurs déplacements.

Du reste de l’Afrique, celle que C. Courtois avait appelée l’Afrique oubliée, et qui correspond, en gros, aux anciennes Maurétanies, nous ne connaissons, pour cette période de deux siècles, que des noms de chefs, de rares monuments funéraires (Djedars près de Saïda, Gour près de Meknès) et les célèbres inscriptions de Masties, à Arris (Aurès), qui s’était proclamé empereur, et de Masuna, « roi des tribus maures et des Romains » à Altava (Oranie). On devine, à travers les bribes transmises par les historiens comme Procope et par le contenu même de ces inscriptions, que l’insé­curité n’était pas moindre dans ces régions « libérées » [5].

Les querelles théologiques sont un autre ferment de désordre, elles ne furent pas moins fortes chez les Chrétiens d’Afrique que chez ceux d’Orient. L’Église, qui avait eu tant de mal à lutter contre le schisme donatiste, est affaiblie, dans le royau­me vandale, par les persécutions, car l’arianisme est devenu religion d’État. L’ortho­doxie triomphe certes à nouveau dès le règne d’Hildéric. Les listes épiscopales du Concile de 525 révèlent combien l’Église africaine avait souffert pendant le siècle qui suivit la mort de Saint Augustin. Non seulement de nombreux évêchés semblent avoir déjà disparu, mais surtout le particularisme provincial et le repliement accom­pagnent la rupture de l’État romain.

La reconquête byzantine fut, en ce domaine, encore plus désastreuse [6]. Elle réintroduisit en Afrique de nouvelles querelles sur la nature du Christ : le Monophysisme et la querelle des Trois Chapitres, sous Justinien, ouvrent la période byzantine en Afrique ; la tentative de conciliation proposée par Héraclius, le Monothélisme, à son tour condamné comme une nouvelle hérésie, clôt cette même période. Alors même que la conquête arabe est commencée, une nouvelle querelle, née de l’initiative de l’empereur Constant II, celle du Type, déchire encore l’Afrique chrétienne (648).

En même temps s’accroît la complexité sociologique, voire ethnique, du pays. Aux romano-africains des villes et des campagnes, parfois très méridionales (comme la société paysanne que font connaître les « Tablettes Albertini », archives notariales sur bois de cèdre, trouvées à une centaine de kilomètres au Sud de Tébessa) [7] et aux Maures non romanisés issus des gentes paléoberbères, se sont ajoutés les nomades « zénètes », les Laguantan et leurs émules, les débris du peuple vandale, le corps expéditionnaire et les administrateurs byzantins qui sont des Orientaux. Cette socié­té devient de plus en plus cloisonnée dans un pays où s’estompe la notion même de l’État.

C’est dans un pays désorganisé, appauvri et déchiré qu’apparaissent, au milieu du VIIe siècle, les conquérants arabes.

La conquête arabe

La conquête arabe, on le sait, ne fut pas une tentative de colonisation, c’est-à-dire une entreprise de peuplement. Elle se présente comme une suite d’opérations exclusivement militaires, dans lesquelles le goût du lucre se mêlait facilement à l’esprit missionnaire. Contrairement à une image très répandue dans les manuels scolaires, cette conquête ne fut pas le résultat d’une chevauchée héroïque, balayant toute opposition d’un simple revers de sabre.

Le Prophète meurt en 632 ; dix ans plus tard les armées du Calife occupaient l’Égypte et la Cyrénaïque (l’Antâbulus, corruption de Pentapolis). En 643, elles pénètrent en Tripolitaine, ayant Amrû ben al-Aç à leur tête. Sous les ordres d’Ibn Sâ’d, gouverneur d’Égypte, un raid est dirigé sur les confins de l’Ifriqîya (déforma­tion arabe du nom de l’ancienne Africa), alors en proie à des convulsions entre Byzantins et Berbères révoltés et entre Byzantins eux-mêmes. Cette opération révéla à la fois la richesse du pays et ses faiblesses. Elle alluma d’ardentes convoitises. L’historien En-Noweiri décrit avec quelle facilité fut levée une petite armée, composée de contingents fournis par la plupart des tribus arabes, qui partit de Médine en octobre 647. Cette troupe ne devait pas dépasser 5 000 hommes, mais en Égypte, Ibn Sâ’d, qui en prit le commandement, lui adjoignit un corps levé sur place qui porta à 20 000 le nombre de combattants musulmans. Le choc décisif contre les « Roms » (Byzantins) commandés par le patrice Grégoire eut lieu près de Suffetula (Sbeitla), en Tunisie. Grégoire fut tué. Mais, ayant pillé le plat pays et obtenu un tribut consi­dérable des cités de Byzacène, les Arabes se retirèrent satisfaits en 648. L’opération n’avait pas eu d’autre but. Elle aurait duré quatorze mois.

La conquête véritable ne fut entreprise que sous le calife Moawia, qui confia le commandement d’une nouvelle armée à Moawia ibn Hodeidj en 666. Trois ans plus tard semble-t-il [8], Oqba ben Nafê fonde la place de Kairouan, première ville musul­mane au Maghreb. D’après les récits, transmis avec de nombreuses variantes par les auteurs arabes, Oqba multiplia, au cours de son second gouvernement, les raids vers l’Ouest, s’empara de villes importantes, comme Lambèse qui avait été le siège de la IIIe Légion et la capitale de la Numidie romaine. Il se dirigea ensuite vers Tahert, près de la moderne Tiaret, puis atteignit Tanger, où un certain Yuliân (Julianus) lui décrivit les Berbères du Sous (Sud marocain) sous un jour fort peu sympathique : « C’est, disait-il, un peuple sans religion, ils mangent des cadavres, boivent le sang de leurs bestiaux, vivent comme des animaux car ils ne croient pas en Dieu et ne le connaissent même pas ». Oqba en fit un massacre prodigieux et s’empara de leurs femmes qui étaient d’une beauté sans égale. Puis Oqba pénétra à cheval dans l’Atlantique, prenant Dieu à témoin « qu’il n’y avait plus d’ennemis de la religion à combattre ni d’infidèles à tuer »[9].

Ce récit, en grande partie légendaire, doublé par d’autres qui font aller Oqba jusqu’au fin fond du Fezzan avant de combattre dans l’extrême Occident, fait bon marché de la résistance rencontrée par ces expéditions. Celle d’Oqba finit même par un désastre qui compromit pendant cinq ans la domination arabe en Ifriqîya. Le chef berbère Koceila, un Aouréba donc un Brânis, déjà converti à l’Islam, donna le signal de la révolte. La troupe d’Oqba fut écrasée sur le chemin du retour, au Sud de l’Aurès [10], et lui-même fut tué à Tehuda, près de la ville qui porte son nom et renferme son tombeau, Sidi Oqba. Koceila marcha sur Kairouan et s’empara de la cité. Ce qui restait de l’armée musulmane se retira jusqu’en Cyrénaïque. Campagnes et expédi­tions se succèdent presque annuellement. Koceila meurt en 686, Carthage n’est prise par les Musulmans qu’en 693 et Tunis fondée en 698. Pendant quelques années, la résistance fut conduite par une femme, une Djeraoua, une des tribus zénètes maîtresses de l’Aurès. Cette femme, qui se nommait Dihya, est plus connue sous le sobriquet que lui donnèrent les Arabes : la Kahina (la « devineresse »). Sa mort, vers 700 [11], peut être considérée comme la fin de la résistance armée des Berbères contre les Arabes. De fait, lorsqu’en 711 Tarîq traverse le détroit auquel il a laissé son nom (Djebel el Tarîq : Gibraltar) pour conquérir l’Espagne, son armée est essen­tiellement composée de contingents berbères, de Maures.

En bref, les conquérants arabes, peu nombreux mais vaillants, ne trouvèrent pas en face d’eux un État prêt à résister à une invasion, mais des opposants succes­sifs : le patrice byzantin, puis les chefs berbères [12], principautés après royaumes, tribus après confédérations. Quant à la population romano-africaine, les Afariq, enfermée dans les murs de ses villes, bien que fort nombreuse, elle n’a ni la possibi­lité ni la volonté de résister longtemps à ces nouveaux maîtres envoyés par Dieu. La capitation imposée par les Arabes, le Kharadj, n’était guère plus lourde que les exigences du fisc byzantin, et, au début du moins, sa perception apparaissait plus comme une contribution exceptionnelle aux malheurs de la guerre que comme une imposition permanente. Quant aux pillages et aux prises de butin des cavaliers d’Allah, ils n’étaient ni plus ni moins insupportables que ceux pratiqués par les Maures depuis deux siècles. L’Afrique fut donc conquise, mais comment fut-elle is­lamisée puis arabisée ?

Les voies de la conversion

Nous avons dit qu’il fallait distinguer l’islamisation de l’arabisation. De fait, la première se fit à un rythme bien plus rapide que la seconde. La Berbérie devient musulmane en moins de deux siècles (VIIe-VIIIe siècles), alors qu’elle n’est pas encore aujourd’hui entièrement arabisée, treize siècles après la première conquête arabe.

L’islamisation et la toute première arabisation furent d’abord citadines [13]. La religion des conquérants s’implanta dans les villes anciennes que visitaient des missionnaires guerriers puis des docteurs voyageurs, rompus aux discussions théolo­giques. La création de villes nouvelles, véritables centres religieux comme Kairouan, première fondation musulmane (670), et Fez, création d’Idriss II (809), contribua à implanter solidement l’Islam aux deux extrémités du pays.

La conversion des Berbères des campagnes, sanhadja ou zénètes, se fit plus mystérieusement. Ils étaient certes préparés au monothéisme absolu de l’Islam par le développement récent du christianisme mais aussi par un certain prosélytisme judaï­que dans les tribus nomades du Sud.

De plus, comme aux chrétiens orientaux, l’Islam devait paraître aux Africains plus comme une hérésie chrétienne (il y en avait tant !) que comme une nouvelle religion ; cette indifférence relative expliquerait les fréquentes « apostasies » certai­nement liées aux fluctuations politiques [14].

Quoi qu’il en soit, la conversion des chefs de fédérations, souvent plus pour des raisons politiques que par conviction, répandit l’Islam dans le peuple. Les contin­gents berbères, conduits par ces chefs dans de fructueuses conquêtes faites au nom de l’Islam, furent amenés tout naturellement à la conversion.

La pratique des otages pris parmi les fils de princes ou de chefs de tribus peut avoir également contribué au progrès de l’Islam. Ces enfants islamisés et arabisés, de retour chez leurs contribules, devenaient des modèles car ils étaient auréolés du prestige que donne une culture supérieure.

Très efficaces bien que dangereux pour l’orthodoxie musulmane avaient été, dans les premiers siècles de l’Islam, les missionnaires kharédjites venus d’Orient qui, tout en répandant l’Islam dans les tribus surtout zénètes, « séparèrent » une partie des Berbères des autres musulmans. Si le schisme kharédjite ensanglanta le Maghreb à plusieurs reprises, il eut le mérite de conserver à toutes les époques, la nôtre com­prise, une force religieuse minoritaire mais exemplaire par la rigueur de sa foi et l’austérité de ses mœurs.

Autres missionnaires et grands voyageurs : les « daï » chargés de répandre la doctrine chiite. Il faut dire qu’en ces époques qui, en Europe comme en Afrique, nous paraissent condamnées à une vie concentrationnaire en raison de l’insécurité, les clercs voyagent beaucoup et fort loin. Ils s’instruisent auprès des plus célèbres docteurs, se mettant délibérément à leur service, jusqu’au jour où ils prennent conscience de leur savoir, de leur autorité, et deviennent maîtres à leur tour, élabo­rant parfois une nouvelle doctrine. Ce fut, entre autres, l’histoire d’Ibn Toumert, fon­dateur du mouvement almohade (1120) qui donna naissance à un empire.

Pour gagner le cœur des populations, dans les villes et surtout les campagnes, les missionnaires musulmans eurent recours surtout à l’exemple. Il fallait montrer à ces Maghrébins, dont la religiosité fut toujours très profonde, ce qu’était la vraie communauté des Défenseurs de la Foi.

Le ribât en fut l’exemple achevé [15]. Ce fut à la fois un couvent et une gar­nison, base d’opération contre les infidèles ou les hérétiques. Le ribât peut être implanté n’importe où, sur le littoral ou à l’intérieur des terres, comme le Ribât Taza, partout où la défense de la Foi l’exige. Les moines-soldats qui occupent ces châteaux s’entraînent au combat et s’instruisent aux sources de l’orthodoxie la plus rigoureu­se. L’âge d’or des ribâts fut le IXe siècle, en Ifriqîya, où les fondations pieuses des émirs aghlabites se multiplient de Tripoli à Bizerte, particulièrement sur les côtes dé l’ancienne Byzacène. Le ribât de Monastir, le plus célèbre (il suffisait d’avoir tenu garnison pendant trois jours pour gagner le paradis !), fut construit en 796, celui de Sousse en 821. À l’autre extrémité du Maghreb, sur la côte atlantique, une autre concentration de ribâts assure la défense de l’Islam sur le plan militaire et sur celui de l’orthodoxie, aussi bien contre les pillards normands que contre les hérétiques Bargwarta. L’un d’eux, de fondation assez tardive par l’almohade Yaqoub el-Mansour, devait devenir la capitale du royaume chérifien en conservant le nom de Rabat. Arcila, au nord, Safi, Qoûz et surtout Massât, au sud, complètent la défense littorale du Maghreb el-Aqsa.

Ces morabitoûn sont aussi des « ibad », hommes de prière ; les gens des ribâts savent, le cas échéant, devenir des réformateurs zélés et efficaces. Ceux qui parmi les Lemtouna et les Guezoula, tribus sanhadja du Sahara occidental, avaient sous la férule d’Ibn Yasin fondé un ribât dans une île du Sénégal, furent, au début du XIe siècle, à l’origine de l’empire almoravide dont le nom est une déformation hispani­que de morabitoûn.

Dans les zones non menacées, le ribât perdit son caractère militaire pour deve­nir le siège de religieux très respectés. Des confréries, qu’il serait exagéré d’assimiler aux ordres religieux chrétiens, s’organisèrent, aux époques récentes, en prenant appui sur des centres d’études religieuses, les zaouïas, qui sont les héritiers des anciens ribâts. Ce mouvement, souvent mêlé de mysticisme populaire, est lié au maraboutisme, autre mot dérivé du ribât. Le maraboutisme contribua grandement à achever l’islamisation des campagnes, au prix de quelques concessions secondaires à des pratiques antéislamiques qui n’entament pas la foi du croyant.

Il fut cependant des parties de la Berbérie où l’Islam ne pénétra que tardive­ment, non pas dans les groupes compacts des sédentaires montagnards qui, au contraire, jouèrent très vite un rôle important dans l’Islam maghrébin, comme les Ketama de Petite Kabylie ou les Masmouda de l’Atlas marocain, mais chez les grands nomades du lointain Hoggar et du Sahara méridional. Il semble qu’il y eut, chez les Touareg, si on en croit leur tradition, une islamisation très précoce, œuvre des Sohâba (Compagnons du Prophète) ; mais cette islamisation, si elle n’est pas légen­daire, n’eut guère de conséquence, et l’idolâtrie subsista jusqu’à ce que des mission­naires réintroduisent l’Islam au Hoggar, sans grand succès semble-t-il. En fait la véri­table islamisation ne semble guère antérieure au XVe siècle.

Il est même un pays berbérophone qui ne fut jamais islamisé : Les îles Canaries, dont les habitants primitifs, les Guanches [16], étaient restés païens au moment de la conquête normande et espagnole, aux XIVe et XVe siècles.

L’islamisation des Berbères ne fit pas disparaître immédiatement toute trace de christianisme en Afrique. Les géographes et chroniqueurs arabes sont particulièrement discrets sur le maintien d’églises africaines quelques siècles après la conquête et la conversion massive (?) des Berbères ; ce n’est que récemment que les historiens se sont vraiment intéressés à cette question.

Les royaumes romano-africains qui s’étaient constitués pendant les époques vandale et byzantine étaient en majorité chrétiens. L’empereur Masties proclame son christianisme[17], le roi des Ucutamani, qui sont les Kotama des écrivains arabes, se dit « servus Dei » [18], les souverains qui se faisaient construire les im­posants Djedar, monuments funéraires de la région de Frenda [19], étaient aussi chrétiens, comme vraisemblablement Masuna, « roi des Maures et des Romains » en Maurétanie vers 508 et Mastinas, autre prince maure qui frappa peut-être monnaie vers 535 [20]. En fait, seuls des chefs nomades, comme Terna adorateur du taureau Gurzil [21], sont encore païens. Tout semble indiquer qu’une part importante des populations paléoberbères dans les anciennes provinces de l’empire romain est évangélisée au VIe siècle. Les villes ont laissé les témoignages les plus nombreux, on ne saurait s’en étonner : basiliques vastes et nombreuses, nécropoles, inscriptions funé­raires, en particulier la remarquable série de la lointaine Volubilis qui couvre la première moitié du VIIe siècle (595-655), celle d’Altava à peine plus ancienne (Ve siècle), celles encore de Pomaria ou d’Albulae, villes qui faisaient aussi partie du royaume de Masuna. On ne doit pas en tirer la conclusion que seule la population citadine était devenue chrétienne : de très modestes bourgades de Numidie, qui n’étaient en fait que de gros villages, possèdent leurs basiliques ; des textes précieux le montrent, tel que celui de Jean de Biclar[22] qui annonce la conversion, vers 570, de « gentes » qui, comme les Maccuritae, étaient restées païennes [23]. Faut-il s’éton­ner de ce qu’El-Bekri affirme qu’à l’époque byzantine les Berbères professaient le christianisme ? Le maintien de communautés chrétiennes en pleine période musul­mane, plusieurs siècles après la conquête, ne fait plus, aujourd’hui, aucun doute. Aux découvertes épigraphiques, telles les fameuses inscriptions funéraires de Kairouan, datées du XIe siècle [24], et celles des sépultures chrétiennes d’Aïn Zara et d’En Ngila en Tripolitaine[25], s’ajoute le commentaire de textes jusqu’alors quelque peu négligés. T. Lewiki a montré qu’il existait une forte communauté chrétienne parmi les Ibadites, d’abord dans le royaume rostémide de Tahert, ensuite à Ouargla[26]. Nous connaissons un évêché de Qastiliya dans le sud tunisien, tandis que la chan­cellerie pontificale conserve la correspondance du pape Grégoire VII avec les évêques africains au Xe siècle [27]. H. R. Idriss reconnaît le maintien de la célébra­tion de fêtes chrétiennes en Ifriqîya à l’époque ziride [28], et Ch. E. Dufourcq, repre­nant le texte d’El Bekri, rappelle l’existence d’une population chrétienne et d’une église à Tlemcen au Xe siècle et propose même de retrouver la mention de pèlerina­ges chrétiens auprès des « ribâts » dans la ville ruinée de Cherchel-Caesarea [29]. Fort justement le même auteur met en rapport la survivance du latin d’Afrique (al-Lâtini al-afarîq) avec le maintien du christianisme [30].

Ce n’est qu’au XIIe siècle que semblent disparaître les dernières communautés chrétiennes ; encore cette extinction paraît plus le fait d’une persécution que d’une disparition naturelle. Les califes almohades furent particulièrement intolérants. Après la prise de Tunis, Abd el-Moumen, en 1159, donne à choisir aux juifs et aux chrétiens entre se convertir à l’islam ou périr par le glaive. À la fin du siècle, son petit-fils, Abou Yousouf Yakoub el-Mansour se vantait de ce qu’aucune église chrétienne ne subsistait dans ses états [31].

Les mécanismes de l’arabisation

L’arabisation suivit d’autres voies, bien qu’elle fût préparée par l’obligation de prononcer en arabe les quelques phrases essentielles d’adhésion à l’islam. Pendant la première période (VIIe-XIe siècles), l’arabisation linguistique et culturelle fut d’abord essentiellement citadine. Plusieurs villes maghrébines de fondation an­cienne, Kairouan, Tunis, Tlemcen, Fès, ont conservé une langue assez classique, souvenir de cette première arabisation. Cet arabe citadin, en se chargeant de constructions diverses empruntées aux Berbères, s’est maintenu aussi, d’après W. Marçais, chez de vieux sédentaires ruraux comme les habitants du Sahel tunisien ou de la région maritime du Constantinois, ou encore les Traras et les Jebala du Rif oriental ; or, ces régions maritimes sont les débouchés de vieilles capitales régionales arabisées de longue date. Cette situation linguistique semble reproduire celle de la première arabisation [32]. Ailleurs, cette forme ancienne, dont on ignore quelle fut l’extension, fut submergée par une langue plus populaire, l’arabe bédouin, qui présente une certaine unité du Sud tunisien au Rio de Oro remontant largement vers le nord dans les plaines de l’Algérie centrale, d’Oranie et du Maroc. Cet arabe bédouin fut introduit au XIe siècle par les tribus hilaliennes car ce sont elles, en effet, qui ont véritablement arabisé une grande partie des Berbères.

Pour comprendre l’arrivée inattendue de ces tribus arabes bédouines, il nous faut remonter au Xe siècle, au moment où se déroulait, au Maghreb central d’abord, puis en Ifriqîya, une aventure prodigieuse et bien connue, celle de l’accession au cali­fat des Fatimides. Alors que les Berbères zénètes étendaient progressivement leur domination sur les Hautes-Plaines, les Berbères autochtones, les Sanhadja, conser­vaient les territoires montagneux de l’Algérie centrale et orientale. L’une de ces tribus qui, depuis l’époque romaine, occupait la Petite Kabylie, les Ketama[33], avait accueilli un missionnaire chiite, Abou Abd Allah, qui annonçait la venue de l’Imam « dirigé » ou Mahdi, descendant d’Ali et de Fatima. Abou Abd Allah s’établit d’abord à Tafrout, dans la région de Mila ; il organise une milice qui groupe ses pre­miers partisans, puis transforme Ikdjan, à l’est des Babors, en place forte. Se révélant un remarquable stratège et meneur d’hommes, il s’empare tour à tour de Sétif, Béja, Constantine. En mars 909, les Chiites sont maîtres de Kairouan et proclament Imam le Fatimide Obaïd Allah, encore prisonnier à l’autre bout du Maghreb central, dans la lointaine Sidjilmassa. Une expédition ketama, toujours conduite par l’infatigable Abou Abd Allah, le ramena triomphant à Kairouan, en décembre 909, non sans avoir, au passage, détruit les principautés kharedjites. La dynastie issue d’Obaïd Allah, celle des Fatimides, réussit donc un moment à contrôler la plus grande partie de l’Afrique du Nord, mais de terribles révoltes secouent le pays. La plus grave fut celle des Kharedjites, menée par Mahlad ben Kaydâd dit Abou Yazid, « l’homme à l’âne ». Mais la dynastie fut une nouvelle fois sauvée par l’intervention des Sanhadja du Maghreb central, sous la conduite de Ziri. Aussi, lorsque les Fatimides, après avoir conquis l’Égypte avec l’aide des Sanhadja, établissent leur capitale au Caire (973), ils laissent le gouvernement du Maghreb à leur lieutenant Bologgin, fils de Ziri. De cette décision, qui paraissait sage et qui laissait la direction du pays à une dynastie berbère, devait naître la pire catastrophe que connut le Maghreb.

En trois générations, les Zirides relâchent leurs liens de vassalité à l’égard du calife fatimide. En 1045, El-Moezz rejeta le chiisme qui n’avait pas été accepté par la majorité de ses sujets et proclame la suprématie du calife abbasside de Bagdad. Pour punir cette sécession, le Fatimide « donna » le Maghreb aux tribus arabes trop turbu­lentes qui avaient émigré de Syrie et d’Arabie nomadisant dans le Sais, en Haute Égypte. Certaines de ces tribus se rattachaient à un ancêtre commun, Hilal, d’où le nom d’invasion hilalienne donnée à cette nouvelle immigration orientale en Afrique du Nord. Les Béni Hilal, bientôt suivis des Béni Soleim, pénètrent en Ifriqîya en 1051. À vrai dire, l’énumération de ces tribus et fractions est assez longue mais relati­vement bien connue, grâce au récit d’Ibn Khaldoun et à une littérature populaire appuyée sur une tradition orale encore bien vivante, véritable chanson de geste connue sous le nom de Taghribât Bani Hilal (la marche vers l’ouest des Béni Hilal). Il y avait deux groupes principaux, le premier formé des tribus Zoghba, Athbej, Ryâh, Djochem, Rebia et Adi se rattachait à Hilal, le second groupe constituait les Béni Soleïm. À ce flot d’envahisseurs succéda, quelques décennies plus tard, un groupe d’Arabes yéménites, les Ma’qil, qui suivirent leur voie propre, plus méridionale et atteignirent le Sud marocain et le Sahara occidental. Des groupes juifs nomades semblent bien avoir accompagné ces bédouins et contribuèrent à renforcer les communautés judaïques du Maghreb [34], dont l’essentiel était d’origine zénète.

On aurait tort d’imaginer l’arrivée de ces tribus comme une armée en marche occupant méticuleusement le terrain et combattant dans une guerre sans merci les Zirides, puis leurs cousins, les Hammadites, qui avaient organisé un royaume distinct en Algérie. Il serait faux également de croire qu’il y eut entre Arabes enva­hisseurs et Berbères une confrontation totale, de type racial ou national. Les tribus qui pénètrent au Maghreb occupent le pays ouvert, regroupent leurs forces pour s’emparer des villes qu’elles pillent systématiquement, puis se dispersent à nouveau, portant plus loin pillage et désolation.

Les princes berbères, Zirides, Hammadites, plus tard Almohades, et Mérinides, n’hésitent pas à utiliser la force militaire, toujours disponible, que constituent ces nomades qui, de proche en proche, pénètrent ainsi plus avant dans les campagnes maghrébines.

Dès l’arrivée des Arabes bédouins, les souverains berbères songent à utiliser cette force nouvelle dans leurs luttes intestines. Ainsi, loin de s’inquiéter de la péné­tration des Hilaliens, le sultan ziride recherche leur alliance pour combattre ses cousins hammadides et donne une de ses filles en mariage au cheikh des Ryâh, ce qui n’empêche pas ces mêmes Arabes de battre par deux fois, en 1050 à Haïdra et en 1052 à Kairouan, les armées zirides et d’envahir l’Ifriqîya, bientôt entièrement soumise à l’anarchie. Des chefs arabes en profitent pour se tailler de minuscules royaumes aussi éphémères que restreints territorialement ; tels sont les émirats de Gabès et de Carthage, dès la fin du XIe siècle. Parallèlement, les Hammadides obtiennent le concours des Athbej qui combattent leur cousin Ryâh, comme eux-mêmes luttent contre leurs cousins zirides.

En 1152, un siècle après l’arrivée des premiers contingents bédouins, les Béni Hilal se regroupent pour faire face à la puissance grandissante des Almohades, maîtres du Maghreb el-Aqsa et de la plus grande partie du Maghreb central, mais il est trop tard et ils sont écrasés à la bataille de Sétif. Paradoxalement, cette défaite n’entrave pas leur expansion, elle en modifie seulement le processus. Les Almoha­des, successeurs d’Abd el-Moumen, n’hésitent pas à utiliser leurs contingents et, fait plus grave de conséquences, ils ordonnent la déportation de nombreuses fractions Ryâh, Athbej et Djochem dans diverses provinces du Maghreb el-Aqsa, dans le Haouz et les plaines atlantiques qui sont ainsi arabisés.

Tandis que s’écroule l’empire almohade, les Hafsides acquièrent leur indépen­dance en Ifriqîya et s’assurent le concours des Kooûb, l’une des principales fractions des Soleïm. Au même moment, le zénète Yaghmorasen fonde le royaume abd-el-wadide de Tlemcen avec l’appui des Arabes Zorba. D’autres Berbères zénètes, les Béni Merin, chassent les derniers Almohades de Fez (1248). La nouvelle dynastie s’appuya sur des familles arabes déportées au Maroc par les Almohades. Pendant plus d’un siècle, le maghzen mérinide fut ainsi recruté chez les Khlot.

Partout ces contingents arabes, introduits parfois contre leur volonté dans des régions nouvelles ou établis à la tête de populations agricoles dont le genre de vie ne résiste pas longtemps à leurs déprédations, provoquent inexorablement le déclin des campagnes. Mais bien qu’ils aient pillé Kairouan, Mendia, Tunis et les principales villes d’Ifriqîya, bien que Ibn Khaldoun les ait dépeints comme une armée de saute­relles détruisant tout sur son passage, Béni Hilal, Béni Soleïm et plus tard Béni Ma’qil furent bien plus dangereux par les ferments d’anarchie qu’ils introduisirent au Maghreb que par leurs propres déprédations.

C’est une étrange et à vrai dire assez merveilleuse histoire que la transforma­tion ethno-sociologique d’une population de plusieurs millions de Berbères par quel­ques dizaines de milliers de Bédouins. On ne saurait, en effet, exagérer l’importance numérique des Béni Hilal ; quel que soit le nombre de ceux qui se croient leurs descendants, ils étaient, au moment de leur apparition en Ifriqîya et au Maghreb, tout au plus quelques dizaines de milliers. Les apports successifs des Béni Soleïm, puis des Ma’qil qui s’établirent dans le Sud du Maroc, ne portèrent pas à plus de cent mille les individus de sang arabe qui pénétrèrent en Afrique du Nord au XIe siècle. Les Vandales, lorsqu’ils franchirent le détroit de Gibraltar pour débarquer sur les côtes d’Afrique, en mai 429, étaient au nombre de 80 000, (peut-être le double si les chiffres donnés par Victor de Vita ne concernent que les hommes et les enfants de sexe mâle). C’est dire que l’importance numérique des deux invasions est sensible­ment équivalente. Or que reste-t-il de l’emprise vandale en Afrique deux siècles plus tard ? Rien. La conquête byzantine a gommé purement et simplement la présence vandale, dont on rechercherait en vain les descendants ou ceux qui prétendraient en descendre. Considérons maintenant les conséquences de l’arrivée des Arabes hilaliens du XIe siècle : la Berbérie s’est en grande partie arabisée et les États du Maghreb se considèrent comme des États arabes.

Ce n’est, bien entendu, ni la fécondité des Béni Hilal, ni l’extermination des Berbères dans les plaines qui expliquent cette profonde arabisation culturelle et linguistique.

Les tribus bédouines ont, en premier lieu, porté un nouveau coup à la vie sé­dentaire par leurs déprédations et les menaces qu’elles font planer sur les campagnes ouvertes. Elles renforcent ainsi l’action dissolvante des nomades « néo-berbères » zénètes qui avaient, dès le VIe siècle, pénétré en Africa et en Numidie. Précurseurs des Hilaliens, ces nomades zénètes furent facilement assimilés par les nouveaux venus. Ainsi les contingents nomades arabes, qui parlaient la langue sacrée et en tiraient un grand prestige, loin d’être absorbés culturellement par la masse berbère nomade, l’attirèrent à eux et l’adoptèrent.

L’identité des genres de vie facilita la fusion. Il était tentant pour les nomades berbères de se dire aussi arabes et d’y gagner la considération et le statut de conqué­rant, voir de chérif, c’est-à-dire descendant du Prophète. L’assimilation était encore facilitée par une fiction juridique : lorsqu’un groupe devient le client d’une famille arabe, il a le droit de prendre le nom de son patron comme s’il s’agissait d’une sorte d’adoption collective. L’existence de pratiques analogues, chez les Berbères eux-mêmes, facilitait encore le processus. L’épisode bien connu de la Kahéna adoptant comme troisième fils son prisonnier arabe Khaled est un bon exemple de ce procédé [35].

La compénétration des groupes berbères et arabes nomades ou semi-nomades fut telle que le phénomène inverse, celui de la berbérisation de fractions arabes ou se disant arabes, a pu être parfois noté. Nous citerons à titre d’exemple, qui est loin d’être isolé, le cas de la tribu arabe des Béni Mhamed inféodée à l’un des « khoms » (celui des Ounebgi) de la puissante confédération des Aït Atta [36].

L’arabisation gagna donc en premier lieu les tribus berbères nomades et particulièrement les Zénètes. Elle fut si complète qu’il ne subsiste plus, aujourd’hui, de dialectes zénètes nomades ; ceux qui ont encore une certaine vitalité sont parlés par des Zénètes fixés soit dans les montagnes (Ouarsenis), soit dans les oasis du Sahara septentrional (Mzab).

Avant le XVe siècle, les puissants groupes berbères nomades Hawara de Tunisie centrale et septentrionale sont déjà complètement arabisés et se sont assimilés aux Soleïm ; comme le note W. Marçais, dès cette époque la Tunisie a acquis ses caractè­res ethniques et linguistiques actuels ; c’est le pays le plus arabisé du Maghreb [37]. Au Maghreb central, les Berbères du groupe Sanhadja, longtemps dominants, sont de plus en plus supplantés par les tribus zénètes arabisées ou en voie d’arabisation qui, entre autres, fondent le royaume abd-el-wadite de Tlemcen, tandis que d’autres Zénètes, les Béni Merin, évincent les derniers Almohades du Maroc.

Un autre facteur d’arabisation qui fut moins souvent retenu par les historiens du Maghreb est l’extinction des tribus qui, ayant joué un rôle important, ont vu fondre leurs effectifs au cours des combats incessants ou d’expéditions lointaines. J’avais attiré l’attention, voilà quelques années, sur le cas des Ketama de Petite Kabylie ; solidement implantés dans leur région montagneuse, ils contribuèrent, nous l’avons vu, à fonder l’empire fatimide, firent des expéditions dans toutes les directions : Ifriqîya, Sidjilmassa, Maghreb el-Aqsa, puis Sicile et Égypte, le tout ent

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29 septembre 2005 4 29 /09 /septembre /2005 00:00

Le Dahir Berbère (16 mai 1930)

Gilles Lafuente


Le 16 mai 1930, la France promulguait au Maroc un décret devenu célèbre: "le dahir berbère". Celui-ci fut rapidement considéré par tous les observateurs comme le catalyseur du nationalisme marocain, alors qu’il n’était, aux yeux des Français, qu’un dahir parmi tant d’autres. Cependant, les conditions politiques, économiques, psychologiques qui prévalaient lors de sa promulgation contribuèrent à susciter des réactions qui dépassèrent par leur violence tout ce que pouvaient en attendre les juristes qui l’élaborèrent, tout comme les Marocains qui s’y opposèrent.

Ce dahir avait pour but l’adaptation de la "Justice Berbère" aux conditions propres de l’époque et, de ce fait, correspondait à l’esprit de la politique inaugurée au Maroc par Lyautey quand il signa le dahir du 11 septembre 1914. La caractéristique fondamentale de cette politique consistait à préserver l’autonomie traditionnelle des Berbères, essentiellement dans le domaine juridique, en les soustrayant à la législation islamique ou "Chrâa", et en maintenant leur droit Coutumier ORF ou IZREF. Elle reconnaissait et garantissait l’application des lois coutumiers berbères, mais sans préciser la nature de ces lois, ni stipuler quelles étaient les tribus dites "berbères". Ce fut le rôle de l’administration de régler ces deux problèmes, et de déclarer "berbères" les tribus qui se soumettaient aux autorités militaires. Il faut rappeler que la population du Maroc, à cette époque, était considérée comme étant composée dans sa grande majorité de Berbères (plus des 3/4). Dans les premières années du Protectorat, cette politique ne provoqua aucune réaction, car elle entérinait un état de fait qui avait toujours existé. Cette politique, jusqu’en 1925, fit l’objet d’un grand nombre de dahirs et d’arrêtés viziriels destinés à la préciser et à en fixer les modalités d’application.

L’étude des groupements berbères commença dès les premières années du Protectorat, le 9 janvier 1915, quand fut crée à Rabat le ‘Comité d’Etudes Berbères’, dans le but de: "..centraliser les travaux établis dans les différentes régions sur les populations berbères du Maroc et d’en retirer des résultats pratiques concernant l’organisation et l’administration des tribus". Ce Comité publia les résultats des recherches entreprises dans la revue Archives berbères, qui constituent un fond extrêmement riche pour la connaissance de ce monde berbère.

Mais, au fur et à mesure que les enquêtes progressaient, certains observateurs firent remarquer la persistance chez les Berbères de superstitions animistes fort peu orthodoxes, de rites païens pré-islamiques totalement contraires aux règles de l’Islam, ainsi que leur refus des règles du "Chraâ", notamment dans le domaine du statut personnel (mariage, divorce, héritage), ce qui n’empêchait pas ces mêmes Berbères d’affirmer qu’ils étaient de vrais musulmans. De là à en déduire que leur attachement à l’Islam était superficiel, il n’y avait qu’un pas qui fut vite franchi.

En conséquence, les tenants de l’assimilation pensèrent que si les Berbères pouvaient être préservés de toute influence arabe - donc musulmane - il serait possible d’en faire des "Français" par le canal des juridictions françaises, des écoles françaises et de la religion chrétienne...! De plus, il ne fallait pas oublier la "ressemblance" physique existant entre les Berbères et les paysans français, vu que les premiers: "... sont, comme nous, issus de la race aryenne".

De telles affirmations ne pouvaient que choquer les Marocains et augmenter leur inquiétude, d’autant plus qu’elles émanaient d’hommes proches de la Résidence, chargés d’importantes fonctions. Il était donc normal que ces propos fussent considérés par les Marocains comme exprimant les tendances officielles de la politique française au Maroc. Ils ont voulu la faire connaître dans tout le monde musulman, et en ont traduit l’essentiel qu’ils ont fait paraître dans la presse du Moyen Orient.

De toute la "littérature" consacrée au monde berbère, c’est peut-être le livre du commandant Paul Marty (Le Maroc de Demain, 1925), qui exprimait de la façon la plus claire et la plus officielle ce que devrait être la politique berbère du Protectorat, Lyautey et l’orientaliste Louis Massignon. L’assimilation des Berbères se ferait donc grâce aux écoles franco-berbères, dont il définit ainsi la forme et la fonction: "... l’école franco-berbère c’est donc l’école
française par l’enseignement et la vie, berbère par les élèves. Donc, pas d’intermédiaire étranger. Tout enseignement de l’arabe, toute intervention du "fquih", toute manifestation islamique seront rigoureusement écartés... En résumé, ces écoles berbères seront autant des organismes de politique française et des instruments de propagande que des centres pédagogiques proprement dits
".

La réalisation d’un tel plan avait commencé en 1923, et on avait demandé à Louis Matignon de superviser l’installation de ces écoles. Mais les résultats ne firent pas à la hauteur de ces ambitions, et en 1930, 20 écoles avaient été créées et elles ne scolarisaient que 700 élèves.

La promulgation, le 16 mai 1930, du Dahir Berbère, s’inscrit donc dans la droite ligne de cette politique, et, dans l’esprit de ceux qui l’élaborèrent, il en manque, sinon l’aboutissement, du moins une étape importante.

L’Elaboration du Dahir

Au fur et à mesure que la pacification s’étendait, le nombre des tribus berbères augmentait et elles se voyaient appliquer le Dahir de 1914 qui reconnaissait leurs "lois et coutumes propres", en vertu desquelles elles devaient être administrées.

Selon les coutumes alors en vigueur, l’administration des tribus berbères fut confiée aux "djemaas", assemblées où se trouvaient réunis les notables et les "anciens" qui connaissaient le mieux les lois de leurs fractions. En vérité, il s’agit là encore d’une fiction, car très rapidement, les membres de la djemaa furent choisis par les administrateurs français. A ce moment là, ces djemaas n’avaient aucune attribution judiciaire, et la justice était rendue par un arbitre choisi par les parties en conflit. Si les parties ne pouvaient se mettre d’accord sur le choix de cet arbitre, c’était la djemaa qui le désignait. Toutefois, le libre choix d’un tel personnage ne pouvait plaire bien longtemps aux autorités françaises de contrôle qui préféraient - et de loin - que la justice fût rendue par la djemaa, dont les membres étaient désignés par ces mêmes autorités...!

Pour une réglementation plus précise, la Direction des Affaires Indigènes créa une commission d’étude de la justice berbère dont l’objet était de déterminer les règles de compétence et de procédure des djemaas judiciaires en tribu de coutume berbère. Cette commission ajouta aux compétences déjà reconnues des djemaas judiciaires, la possibilité de trancher en matière civile et commerciale, ce qui était en fait du ressort du Caïd ou du Pacha. Les Caïds ne gardaient que la répression des affaires pénales. En matière criminelle, le Caïd devait en référer au Haut Tribunal Chérifien, qui jugeait, en principe, d’après la coutume locale. Toutefois il faut noter une exception qui sera lourde de conséquences: le monde berbère, n’était pas totalement "pacifié", était soumis, non pas aux autorités civiles, mais à un commandement militaire. De ce fait, certains crimes, notamment ceux commis à l’encontre de colons ou de soldats français étaient jugés par un tribunal militaire français qui avait le "droit" d’appliquer la peine de mort. Ces raisons de sécurité seront invoquées plus tard pour justifier l’article 6 du dahir du 16 mai 1930.

On le voit, dès 1924, - Lyautey est encore Résident Général -, le problème de la justice en pays berbère est parfaitement posé, mais non encore réglé selon le vœu des autorités françaises.

Fin 1929, 81 djemaas judiciaires existaient pour l’ensemble des tribus classées "berbères" et elles inspiraient une confiance absolue. Tout aurait été pour le mieux si une grave lacune, pour ne pas dire une lacune fondamentale dans la poursuite de cette politique, n’était venue en perturber le déroulement. En effet, issues de simples circulaires administratives, les djemaas ne reposaient sur aucun fondement légal. Qui plus est, ces mesures administratives n’avaient pas été contresignées par les Autorités Marocaines.

Il aurait fallu pour cela qu’un dahir - signé du Sultan - entérinât la création de ces djemaas judiciaires. Or, Moulay Youssef était intraitable sur ce sujet, et cette absence de légitimité légale entretenait l’absence de l’autorité de la chose jugée à l’égard des autres juridictions, ainsi que l’absence d’obligation juridique d’exécuter la sentence. Certes, au sein des tribus à qui ce système donnait entière satisfaction, il n’avait pas de contestation. Mais avec la
pénétration des colons, hommes d’affaires, commerçants, le danger se précisait. C’est ainsi qu’il fut impossible aux tribunaux français de reconnaître une valeur juridique aux sentences des djemaas pourtant créées par les autorités françaises...! Il s’ensuivit une crise de confiance grave dans le monde berbère envers l’institution, mais aussi envers ceux qui l’avaient soutenue, à tel point que de nombreux officiers des Affaires Indigènes refusèrent d’étendre l’expérience. Il fallait absolument donner aux djemaas judiciaires une existence légale, et ce, par un dahir scellé du Sultan.

Il était donc impératif de rendre légaux tous les actes et jugements rendus par les djemaas judiciaires, mais cette nécessité se heurtait à un écueil de taille incontournable jusqu’alors : le refus du Sultan d’apposer son sceau au bas d’un texte qui ne reconnaît pas la prééminence absolue du Chrâa sur toute autre législation. Or en cette années 1930, la situation au Maroc avait changé. Le 17 novembre 1927, le Sultan Moulay Youssef était décédé, et il avait été remplacé sur le trône Alaouite par son troisième fils, Sidi Mohammed, le futur Mohammed V, un jeune homme de 18 ans. Il était donc normal de penser que, vu son inexpérience, il serait plus malléable, et qu’il scellerait - enfin - le dahir officialisant les djemaas judiciaires.

D’autre part, les responsables politiques français ressentaient l’urgence de consolider leur politique berbère devant une extension - certes diffuse - mais de plus en plus importante des sentiments nationalistes, exacerbés par la situation économique difficile.

C’est dans ce contexte et dans cet esprit qu’un arrêté résidentiel créait le 7 décembre 1929, une fois de plus, une Commission chargée de l’étude de l’organisation de la justice dans les tribus de coutume berbère.

Les 14 membres de cette Commission avaient pour tâche de proposer au Gouvernement toutes suggestions utiles concernant le fonctionnement de la Justice Berbère ainsi qu’un projet de Dahir, qui, revêtu du sceau du Sultan, légaliserait l’existence des Djemaas et la valeur de leur jugements.

Très vite, deux thèses se sont affrontées: celle des avocats par la voix de M. Picard, et celle du Général Noguès et du cabinet Militaire. Pour le Batônnier de l’ordre des Avocats de Rabat, Mr Picrd, le but poursuivi était tout simplement de créer un tribunal français, c’est à dire "... un juge de paix assisté au non d’assesseurs berbères parfaitement au courant de l’Orf". Et M. Picard terminait son intervention en déclarant: "Ce que nous avons réalisé en Algérie en 1874, nous devons en 1930 pouvoir le réaliser au Maroc où le Berbère, pourvu qu’on lui applique sa coutume, ne demande pas mieux d’être jugé par un Français indifférent à toutes les influences."

A cette thèse fut opposée celle de la Direction des affaires indigènes. C’est ainsi que le Général Noguès, tout en reconnaissant des djemaas judiciaires fut très réticent quant à l’introduction d’un juge français au sein d’un tribunal berbère. Une telle réforme ne lui paraissait pas opportune. Si, en revanche, on donnait un statut légal aux djemaas, tout le monde serait satisfait, le gouvernement voulant: "...consacrer ce qui existe".

C’est dans cette perspective que se poursuivirent les débats, et ils aboutirent à un projet de dahir qui reconnaissait la compétence des djemaas en matière civil, commerciale, mobilière et immobilière, ainsi que celle des chefs de tribu en matière pénale. Ce même dahir visait aussi à soustraire la justice berbère à l’ingérence du haut tribunal chérifien qui jugeait en fonction de Chrâa. Le texte en fut distribué à tous les membres de la commission pour qu’ils puissent y réfléchir avant la réunion suivante qui se tint le 6 mars 1930. Il est évident qu’un tel projet ne comportait aucun aspect susceptible de provoquer les critiques, et la signature du Sultan n’aurait, semble-t-il, soulevé aucun problème.

Lors de la seconde réunion, la discussion à propos de l’article 1er du texte s’attacha à déterminer ce que serait la justice pénale appliquée par le Caïd. En effet, ce Caïd risquait d’appliquer le "Chrâa" ou une quelconque justice qui lui serait particulière. Quant à l’application de l’Orf Pénal, elle semblait difficile aux juristes français car trop de sanctions leur semblaient "barbares". Le problème restait donc entier, surtout en ce qui concernait les crimes dont la sanction pouvait être une centaine de moutons ou la loi du talion. L’impasse restait totale: ou bien entériner un ordre pénal dont certains aspects répugnaient aux juristes présents ; ou bien appliquer une justice pénale française, ce que le Sultan ne pourrait admettre.

La Commission décida, alors, à l’unanimité, de maintenir ce qui existait, et de ne pas placer de juges français au sein des juridictions berbères. Quant aux "Tribunaux d’appel Coutumiers", leur création visait à ôter au haut Tribunal Chérifien toute compétence concernant l’appel.

Et c’est à ce moment que, contre toute attente, le Président de la Commission, M. Cordier, proposa que "... les tribunaux français seraient compétents pour la répression des crimes commis en pays berbère. Pour juger ces affaires, le tribunal français se joindrait un jury berbère composé de trois assesseurs". On peut se demander quelles furent les raisons d’une telle décision qui ne figurait pas à l’ordre du jour des travaux de la commission. Ce n’est que beaucoup plus tard, le 14 mars 1934, que le Président Cordier expliqua: "... Le Résident Général, en 1930, se préoccupait d’étendre à tous les indigènes marocains la compétence des tribunaux français". Le texte de l’avant-projet fut donc remanié et comporta 8 article. L’article 6 décrétait la compétence des juridictions françaises en matière pénale pour la répression des crimes commis en pays berbère quelle que soit la condition de l’auteur du crime.

Texte du Dahir du 16 mai 1930

Louange à Dieu,

Que l’on sache par la présente, que notre Majesté Chérifienne, Considérant que le dahir de notre Auguste père, S.M. le Sultan Moulay Youssef, en date du 11 septembre 1914 a prescrit dans l’intérêt du bien de nos sujets et de la tranquillité de l’Etat de respecter le statut coutumier des tributs berbères pacifiées..., qu’il devient opportun de préciser aujourd’hui les conditions particulières dans les quelles la justice sera rendue dans les mêmes tribus:

A décrété ce qui suit :

Art. 1

Dans les tribus de Notre Empire reconnues comme étant de coutume berbère, la répression des infractions commises par les sujets marocains qui serait de la compétence des Caïds dans les autres parties de l’Empire, est de la compétence des chefs de tribus.
Pour les autres infractions, la compétence et la répression sont réglées par les articles 4 et 6 du présent dahir.

Art. 2

Sous réserve des règles de compétence qui régissent les tribunaux français de Notre Empire, les actions civiles ou commerciales, mobilières ou immobilières sont jugées, en premier ou dernier ressort, suivant le taux qui sera fixé par arrêté viziriel, par les juridictions spéciales appelées tribunaux coutumiers. Ces tribunaux sont également compétents en tout matière de statut personnel ou successoral. Ils appliquent, dans les cas, la coutume locale.

Art. 3

L’appel des jugements rendus par les tribunaux coutumiers, dans les cas où il serait recevable, est portée devant les juridictions appelées tribunaux d’appel coutumiers.

Art. 4

En matière pénal, ces tribunaux d’appel sont également compétents, en premier et dernier ressort, pour la répression des infractions prévues à l’alinéa 2 de l’article premier ci-dessus, et en outre de toutes les infractions commises par des membres des tribunaux coutumiers dont la compétence normale est attribuée au chef de la tribu.

Art. 5

Auprès de chaque tribunal coutumier de première instance ou d’appel est placé un commissaire du Gouvernement, délégué par l’autorité régionale de contrôle de laquelle il dépend. Prés de chacune de ces juridictions est également placé un secrétaire-greffier, lequel remplit en outre les fonctions de notaire.

Art. 6

Les juridictions françaises statuant en matière pénale suivant les règles qui leur sont propres, sont compétentes pour la répression des crimes commis en pays berbère quelle que soit la condition de l’auteur du crime. Dans ces cas est applicable le dahir du 12 août 1913 (9 ramadan 1331) sur la procédure criminelle.

Art. 7

Les actions immobilières auxquelles seraient parties, soit comme demandeur, soit comme défendeur, des ressortissants des juridictions françaises, sont de la compétence de ces
juridictions.

Art. 8

Toutes les règles d’organisations, de composition et de fonctionnement des tribunaux coutumiers seront fixés par arrêtés viziriels successifs, selon les cas et suivants les besoins.

Sept jours plus tard, le 13 mars 1930, la Commission se réunit pour la troisième et dernière fois. Il s’agissait de discuter le nouveau dahir, et il est évident que c’est l’article 6 qui retint l’attention des membres présents car ils étaient conscients des conséquences qu’ils impliquait.

D’entrée, M. Benazet fit remarquer qu’il faudrait s’attendre aux réticences du Makhzen devant une telle atteinte à ses droits, et M. Blanc, fidèle à son respect du traité de Protectorat et aux prérogatives attachées à la fonction de chef religieux du Sultan, ne put que réitérer ses doutes quant à l’adhésion de ce dernier texte qui lui serait soumis.

Devant ces réserves, le Président Cordier invoqua le principe de la sécurité des gens, la nécessité de faire face à tous les délits graves dans les zones non encore "pacifiées". Mais l’objection fondamentale persistait, et c’est le Commandant Marty qui l’exprima d’une façon très pertinente: "Les objections que peut élever le Makhzen sont du domaine religieux. Le Sultan en sa qualité d’Imam ne peut consentir à décréter lui même qu’une partie de ses sujets musulmans n’obéira pas à la loi révélée." Cet argument sera repris et amplifié par tous les
opposants au dahir.

Le Président Cordier passa outre et, jouant les Ponce Pilate, conclut : "...Nous avons étudié le problème comme techniciens. Il échappe à la Commission de l’aborder du point de vue gouvernemental. Il appartient au Gouvernement de décider."

Le texte du dahir fut présenté au jeune Sultan Mohammed Ben Youssef âgé alors d’une vingtaine d’années, par le Résident Général, M. Lucien Saint. Il est très difficile, pour ne pas dire impossible de déterminer quels furent les arguments invoqués par le Résident pour convaincre son interlocuteur. Il n’en demeure pas moins que c’est le représentant de la France qui porte l’entière responsabilité du dahir du 16 mai 1930, tant il semble évident que le futur Mohammed V ne pouvait saisir à ce moment toutes les implications juridiques, morales et religieuses du texte au bas duquel il allait apposer son sceau.

En fait, il est évident que l’autorité du Sultan dans le domaine judiciaire, et les prérogatives qui étaient les siennes en tant qu’Imam, avaient été singulièrement écornées, ne serait-ce que le Dahir de 1914 qui, de la façon la plus officielle, soustrayait à la justice sultanienne près des 3/4 de ses sujets. De plus, durant les 16 années qui précédèrent le dahir du 16 mai, de très nombreux textes et arrêts viziriels concernant le monde berbère furent promulgués, sans que personne ne songeât à émettre la moindre réserve. Il faut bien comprendre que le sentiment nationaliste était encore très diffus, et que de 1912 à 1930, il était très difficile pour les Marocains de protester contre un dahir quelconque, ceux-ci étant tous signés par le Sultan.

Mais les esprits avaient évolué, et il ne fait aucun doute que ce texte, dans le contexte de l’année 1930, était l’erreur qu’attendaient les chefs nationalistes, erreur qu’il fallait exploiter.

Signé le 16 mai par le Sultan, et promulgué le 23 du même mois par le Résident Général, M. Lucien Saint, c’est l’article 6 qui mit le feu aux poudres. Il prévoyait que: "... Les juridictions françaises statuant en matière pénale suivant les règles qui leur sont propres sont compétentes pour la répression des crimes commis en pays berbère, quelle que soit la condition de l’auteur du crime."

Cet article fut interprété par les nationalistes marocains comme une violation de la religion musulmane, pourtant protégée par le traité de Fès de 1912, dans la mesure où il soustrayait à la justice islamique toutes les tribus berbères où se trouvaient la majorité des marocains, et par le fait même, amoindrissait les pouvoirs du Sultan. Si l’on ajoute à cela le fait que l’élite des grandes villes connaissait parfaitement les buts visés par l’installation des écoles franco-berbères, on comprend que ses membres avait vu dans cet article une tentative de la France pour accroître son emprise sur le Maroc.

Ce dahir, au grand étonnement des français, fut considéré certes comme une attaque contre l’Islam mais aussi comme un "complot" devant permettre l’évangélisation du Maroc. Ces deux aspects du problème furent pratiquement les seuls portés à la connaissance des Musulmans du Moyen-Orient dans la tapageuse compagne de presse qui s’ensuivit. Il faut y voir la conjonction de plusieurs facteurs, et tout d’abord l’évolution entre 1915 et
1930 de la jeunesse intellectuelle marocaine et plus particulièrement de celle de Fès.

La société marocaine et son évolution: 1915-1930

Les années 1925-1930 furent une période de fermentation intellectuelle dans l’ensemble du monde Musulman. Au Maroc, on assista à la création des "Ecoles Libres" qui répandaient dans la jeunesse les idées réformatrices salafistes. L’expansion de la salafiya - qui entendait trouver la solution aux problèmes du monde arabe par un emploi de la technique moderne mise au profit de la restructuration des fondements de l’Islam - prépara les esprits à un retour à la culture nationale et aux traditions, particulièrement en matière religieuse. Enfin des "Sociètés Secrètes" à Fès, Rabat, Tétouan recrutèrent leurs membres parmi les enseignants des "Ecoles Libres" qui deviendront les dirigeants du mouvement nationaliste marocain.

Toute une intelligensia était prête à réagir pour peu qu’on lui en donnât le prétexte. Il fallait un événement exceptionnel, un catalyseur, pour faire la synthèse de tous ces sentiments refoulés, de toutes ces espérances non exprimées, pour unifier tous ces clubs informels et encore embryonnaires. Le Dahir berbère, promulgué le 16 mai 1930, fut ce catalyseur, mais encore fallait-il une idée-force qui pût rassembler autour d’elle tous ces mécontents, un dénominateur commun de toute jeunesse avide d’action. Une "atteinte" à la religion musulmane fut ce dénominateur.

La "Croisade" contre l’Islam ?

Cette atteinte à l’Islam ne manqua pas d’étonner les autorités du Protectorat, car, en effet, rien, et il faut le souligner, ne pouvait accréditer l’idée que la France voulait d’une manière ou d’une autre s’immiscer dans les affaires religieuses des Marocains. Mais, certains événements ne pouvaient qu’exacerber la sensibilité des Marocains et provoquer leur exaspération pour peu qu’ils eussent lieu dans un climat psychologique propice.

C’est ainsi que cette année 1930 fût celle des festivités grandioses accompagnant la célébration du centenaire de la présence française en Algérie. Préparées dès le mois de Janvier, elles continueront le 14 juin par la manifestation à Sidi Ferruch, où, cent ans auparavant les troupes du Général de Bourmont avaient débarqué. Peut-être encore plus traumatisante fut la tenue à Carthage, du 7 au 11 mai 1930, d’un Congrès Eucharistique, dans une solennité quelque peu extravagante. Des milliers de jeunes Français parcoururent les rues de la ville, affublés de vêtements semblables à ceux que portaient les croisés...! Les Musulmans, en Tunisie et ailleurs, y virent la célébration de la victoire de la "Croix" sur le "Croissant".

Cette peur que les Musulmans, qu’ils fussent Tunisiens, Algériens, ou Marocains, éprouvaient devant les activités des représentants de l’Eglise Chrétienne est très significative du climat affectif et émotionnel dans lequel ils vivaient, bien que, officiellement, rien ne pouvait alimenter leurs craintes. Dans ce contexte très particulier, où les Marocains - surtout ceux de Fès, capitale religieuse du Royaume - se sentaient agressés dans leur foi, un événement, en soi minime, mais dont l’impact fut considérable sur les esprits et les cœurs, frappa durement les habitants de la ville d’où partira en 1930, le mouvement de protestation contre le dahir Berbère.

Deux années auparavant, un jeune fassi, mohammed Abdeljalil, fils d’une des plus grandes familles de la ville demanda à embrasser le Christianisme. Non seulement un musulman apostasiait - acte passible de la peine de mort selon le Chrâa -, mais Mohammed Abdeljalil entra en 1929 dans l’Ordre Franciscin, et fut ordonné prêtre en 1935 sous le nom de Jean Mohammed Adbeljalil. Dès qu’elle fut connue, cette conversion fut ressentie comme une honte et une profonde humiliation par toute la communauté fassie, mais tout autant, si ce n’est plus, comme la preuve de l’efficacité de la mission évangilisatrice menée au Maroc par l’église catholique avec la complicité de la Résidence.

Mais la "bête noire" des nationalistes fut incontestablement la revue mensuelle Le Maroc Catholique, patronnée par l’archevêque de Rabat, Mgr Vieille. On comprend parfaitement que les lecteurs marocains fussent ulcérés par des affirmations que l’on y trouvait, d’autant plus que les auteurs de ces textes ne considéraient pas leurs idées comme utopiques, mais comme parfaitement réalisables. Un grand nombre d’extraits furent traduits et publiés dans la presse du Moyen Orient dans le cadre des protestations organisées contre le Dahir, pour bien prouver que le but des Français au Maroc était de: "...faire sortir les Berbères de l’enceinte de l’Islam."

Cette même revue publiera, en 1927, le compte-rendu de l’Assemblée Générale des pères Blancs tenue à Alger, sous titre non équivoque "L’évangilisation des Berbères". Constatant tout d’abord l’erreur commise en Algérie en imposant une justice musulmane ainsi que la langue arabe à des Berbères régis par leurs coutumes, les auteurs du texte se félicitent de voir: "...Le Maroc corrige les erreurs de l’Algérie. Dans les tribus berbères on donne au droit berbère force de loi au même titre que le droit franco-berbère d’où l’arabe est proscrit, ainsi que l’enseignement religieux des écoles coraniques... L’évangélisation du Maroc est possible et nécessaire... C’est un axiome admis déjà par beaucoup mais que tout Français doit adopter: le Berbère sera assimilé qu’autant qu’il sera chrétien."

De telles pages sont difficilement réfutables, encore qu’à aucun moment elles n’aient eu la moindre consécration officielle. Mais le fait qu’elles aient pu paraître, et certains sous des signatures connues, sans encourir la moindre censure, ne pouvait que fortifier l’idée qu’une "Croisade" était entreprise par les autorités françaises au Maroc, et c’est cet aspect du problème, inlassablement répété, qui sera au centre de la campagne de presse contre le dahir que les nationalistes marocains entreprendront après le 16 mai. Quand on ajoute à ces éléments l’interdiction, ou tout du moins les empêchements, dont furent victimes les "fquihs" voulant se rendre dans les régions berbères, la réaction des Marocains se justifie pleinement.

Dans un tel contexte, la promulgation du dahir berbère permit aux Marocains d’exprimer leurs ressentiments et manifester leur mécontentement. Est-ce à dire que la réaction fut immédiate et spontanée?

La chronologie ne semble pas le monter. Bien au contraire, elle nous prouve, si besoin était, que les nationalistes marocains ont su admirablement exploiter l’erreur psychologique et politique que constituait la promulgation de ce dahir, pour exprimer leurs revendications sous couvert d’une défense de l’Islam, prétexte que leur offrait ce texte. Il est évident que le sort de leurs "frères" berbères tenait peu de place dans leurs préoccupations fort peu amènes qu’ils portaient sur eux. En utilisant à des fins politiques un fait culturel indéniable - les différences entre berbères et Arabes -, la France avait donné à des jeunes marocains les moyens inespérés de se faire entendre par la totalité du monde Arabe.

Les manifestations contre le Dahir Berbère

La première manifestation populaire contre le dahir berbère eut lieu le 20 juin 1930. C’est plus d’un mois après sa promulgation que les Marocains commencèrent à témoigner leur opposition à ce décret.

Que s’était-il passé entre temps?

C’est Abdellatif Sbihi, leader des "Jeunes marocains de Salé", qui fut à l’origine de la contestation. Totalement acquis aux idées des nationalistes, Abdellatif Sbihi était traducteur dans l’administration quand le texte du dahir lui parvint. Dès qu’il en eut compris la portée, il démissionna, et se rendit au Collège Moulay Youssef à Rabat, où de nombreux jeunes Slaouis étudiaient. Là, il expliqua que par ce dahir, la France tentait de diviser territorialement le Maroc. Puis effectua la même démarche à Fès, mais dut se rendre à l’évidence : l’explication, géographique et politique, qu’il donnait du dahir n’avait aucun impact sur les gens. Aussi commença-t-il leur présenter comme une atteinte à l’essence même de l’Islam.

Il fut aisé à Abdellatif Sbihi d’expliquer aux jeunes Lycéens de Rabat et de Salé les buts pernicieux du dahir. Un mercredi ils se réunirent et cherchèrent ensemble le moyen de réveiller une opinion apparemment assoupie, pour s’opposer à l’œuvre entreprise par la France. C’est Abdelkrim Hajji qui suggéra que la prière du "Latif" fût récitée à la mosquée. Cette prière n’était psalmodiée que pour demander l’aide de Dieu face à une calamité : inondation, sécheresse, invasion du sauterelles...

Les autorités françaises réagirent par des menaces, mais elles ne purent empêcher que durant des semaines, la prière du latif fût entendue dans de nombreuses mosquées du Royaume, surtout à Fès, où la contestation fut la plus forte. Que ce soit à Fès, Salé, ou dans d’autres villes du Maroc, la mosquée était le lieu privilégié où pouvait s’exercer cette protestation, car il était le seul possible.

La récitation des "Latifs": juin-août 1930

C’est à partir du 20 juin 1930 que la récitation des "Latifs" commença dans les grandes villes du Maroc. A Fès, elle fut quotidienne dans la mosquée de l’Universtité Qarouiyine.

Le 11 août eut lieu un événement particulier, sur lequel les nationalistes préféreront ne pas s’étendre. En effet, ce jour là, qui était le jour du Miloud, une lettre du Sultan fut lue dans les mosquées de Fès, Rabat, Salé, Casablanca, Meknès et Marrakech.

Dans cette lettre le Sultan, Mohammed Ben Youssef, demandait l’arrêt des manifestations et justifiait la promulgation du dahir Berbère...!

Que ce texte ait été rédigé par les services de la Résidence ne fait aucune doute, mais, tout comme pour le Dahir, le Sultan accepta de le signer et il fut lu en son nom. Après avoir rappelé les "coutumes ancestrales" qui, de tout temps avaient permis aux tribus berbères de régler leurs différends, le massage du Sultan précisait que: "... L’exercice de ces coutumes s’est ainsi étendu sur plusieurs siècles et le dernier souverain qui l’a reconnu aux tribus berbères est notre auguste et vénéré père, qui n’a fait que suivre les traces de ses prédécesseurs, dans le seul but d’accorder aux Berbères le moyen de régler leurs différends pour le développement de la paix parmi eux. Cet octroi ne pouvait être considéré comme un moyen d’administration makhzenienne, nous avons nous-même décrété de semblables mesures par notre dahir chérifien. Cependant, des jeunes gens, dénués de toute espèce de discernement, ignorant toute la portée de leurs actes répréhensibles, se sont mis à faire croire que ces mesures que nous avons décrétées n’ont pour but que la christianisation des Berbères. Ils ont ainsi induit la foule en erreur et ont convié les gens à se réunir dans les mosquées pour réciter les prières du "Latif" après les prières rituelles, transformant par ce procédé la prière en manifestation politique de nature à jeter le trouble dans les esprits.

Notre Majesté réprouve absolument que les mosquées dont Dieu a fait les lieux de prière et de piété, soient transformé en foyers de réunions politiques où prennent libre cours les arrière-pensées et où se développent les mauvais penchants".

Seule concession faite aux protestataires, le Sultan accordait à toute tribu qui en exprimerait le désir la possibilité d’être soumise à la juridiction de Chrâa.

Il était difficile d’être plus ferme quant à la condamnation des manifestations.

De 13 au 21 août, des négociations se tinrent entre Rabat et Fès, en vue de constituer la délégation qui viendrait présenter ses doléances au Sultan.

Le 23 août, 10 délégués furent choisis. Leur groupe prit le nom de Taifa, et, fait révélateur, chacun d’eux se donna le nom d’un des compagnons du Prophète. Que demandaient les protestataires?
  1. Le respect de l’autorité de sa Majesté le Sultan, tant spirituelle que temporelle, ceci en obtenant que tous les agents du Makhzen ne soient responsable que devant le gouvernement chérifien.
  2. L’application de la loi religieuse par tous les tribunaux.
  3. L’unification des programmes de l’enseignement, celui-ci ne devant être dispensé qu’en arabe, qui est la langue du Coran.
  4. Le respect de la langue arabe qui doit être celle de toute l’administration et des tribunaux dans tout le royaume, et donc, ne donner aucun caractère officiel aux dialectes berbères.
  5. L’arrêt du mouvement missionnaire et l’interdiction des déplacements de ses membres dans les tribus, les "souqs" et les "moussems".
  6. L’arrêt des subventions venant du budget de l’Etat Chérifien aux associations missionnaires.
  7. Le refus d’autoriser la création par les missionnaires de nouveaux orphelinats et maisons d’accueil pour les enfants abandonnées. Ne pas subventionner ceux qui existent déjà, et faire en sorte que rien ne puisse demeurer sous tutelle de ces missionnaires.
  8. L’interdiction pour tout prêtre ou missionnaire de diriger une école de l’Etat.

Ils demandaient aussi de ne pas entraver l’action des "fquihs" dans les tribus pour qu’ils puissent enseigner les principes de la religion et inciter les gens à en respecter les règles, et donc de supprimer les "laisser-passé" à l’intérieur du Royaume. Enfin, ils réclamaient l’amnistie totale pour les emprisonnés et exilés qui l’avaient été en raison de leurs participation aux événements récents.

Deux jours après, le 30 août au matin, la délégation reprenait la route de Fès, les mains vides, et faisait connaître aux Fassis, la réponse du Sultan: "...Nous allons considérer votre demande et nous y répondrons".

La décision fut alors prise de recommencer les manifestations, et des émissaires furent envoyés dans les grandes villes du pays, pour ranimer l’ardeur des nationalistes.

Mais les autorités du Protectorat étaient sur leurs gardes. Arrestations et exils furent plus sévères. Avec l’éloignement des principaux responsables de l’agitation, l’opposition au dahir connut un répit certain, dû aussi à la reprise des cours dans les Lycées et les Universités, à la fin de l’été 1930.

Il faut noter le rôle fondamental joué par la ville de Fès, et par son élite intellectuelle, composée aussi bien d’hommes formés à l’école traditionnelle, que par d’autres, plus jeunes, qui avaient bénéficié d’un enseignement beaucoup plus moderne. Les autres villes du Royaume ne semblent pas avoir été touchées par le mouvement, à l’exception de Rabat et de Salé, qui furent en effervescence durant quelque temps. Il faut aussi noter le caractère politique des revendications marocaines sous couvert de la défense de l’Islam, ce qui était le seul moyen pour les nationalistes de provoquer le sursaut d’une masse de gens beaucoup trop préoccupés par les nécessité de gagner leur pain quotidien. Mais, outre le côté affectif, le nationalisme, en s’appuyant sur les mosquées, auréolait son combat d’un caractère sacré. De même, en prenant le nom des compagnons du Prophète, les principaux chefs adoptaient la structure d’une confrérie. Non seulement le mouvement nationaliste puisait dans l’Islam le moteur de ses revendication, mais il retrouvait aussi les moyens d’action et l’organisation de ses revendications, qui

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22 septembre 2005 4 22 /09 /septembre /2005 00:00
Le Dahir berbère  : Grand bluff politique au Maroc contemporain

Entretien, à bâtons rompus, avec M. Mounib, militant du Mouvement culturel amazigh

Propos recueillis par Moha Mokhlis

Question : Erigé en mythe fondateur par l'élite du mouvement nationaliste, le "Dahir berbère" est considéré comme un facteur de division, quelle est la part de vérité de ce jugement ?

Réponse : Tout d'abord, légalement ce dahir ne s'appelle pas "dahir berbère". Cette appellation à connotation ethnique lui a été collée par les idéologues d'un certain parti dans un but unique, celui de l'exclusion et de la marginalisation des Imazighen.

Son intitulé exact tel que le lui a donné le législateur est: "Dahir réglementant le fonctionnement de la justice dans les tribus de coutumes berbères". En application de ce dahir, l'arrêté viziriel du 8 avril 1934 organisait les tribunaux coutumiers ainsi constitués. C'était donc bien de la réglementation de la justice coutumière dont il s'agissait et rien d'autre. Il n'était nul part dans ces deux textes question d'une quelconque entité berbère ou d'un projet de ce genre.

Pour en avoir une idée précise, situons ce dahir dans son véritable contexte : l'organisation judiciaire du pays comportait :

  1. Les tribunaux français dotés d'une large compétence et indépendants de l'exécutif. Les juges étaient désignés par le président de la république française et n'avaient de compte à rendre qu'à leur âme et conscience. Le Maroc devenant un pays moderne, il lui fallait des lois et des tribunaux modernes. C'était la prétention de l'oeuvre de la France.
  2. La justice makhzene ou traditionnelle constituée par les tribunaux de Pachas et de Caïds, les tribunaux de Cadis et les tribunaux rabbiniques. Cette justice qui n'était pas indépendante, relevait de l'exécutif en l'occurrence la direction de l’Intérieur représentée au niveau local par le contrôleur civil ou l'officier des affaires indigènes qui en était la tête pensante, l'orientait et la contrôlait. Aucune affaire de quelque importance que ce fût ne puisse être jugée sans avoir préalablement requis son avis.

La population qui en était persuadée l'appelait "Lhakem" c'est-à-dire le juge. Ce système fut complété par le dahir du 16 mai 1930 qui officialisa dans ce pays la justice coutumière plusieurs fois millénaire.

L'examen du dahir lui-même ne permet de relever aucune disposition constituant un facteur de division. L'article premier du texte apporte même un démenti formel aux tenants de cette thèse en stipulant que cette loi s'appliquait aux sujets marocains arabophones ou amazighophones, musulmans ou juifs, citadins ou ruraux. La condition à cet assujettissement était de se trouver sur le térritoire relevant de la compétence de ces tribunaux.

Une fois hors de ce territoire, on devient justiciable des tribunaux makhzens. Il n'y avait pas de juridiction coutumière dans les villes et les plaines du Royaume. Ces tribunaux avaient donc une compétence territoriale et non ethnique. Si l’on avait été autrement et que les dispositions de l'article premier du dahir avaient stipulé que seuls les Berbères étaient justiciables des juridictions coutumières, il aurait fallu prendre des mesures qui permettraient de distinguer qui était soumis à ces tribunaux de qui ne l'était pas. La seule solution d'y parvenir aurait été d'instituer un état civil et une carte d'identité ethnique. Ce qui ne s'était pas imposé pour la raison expliquée ci-dessus.

Comment oser, dans ce cas, prétendre que le dahir du 16 mai 1930 comportait des germes de division alors qu'il n'avait fait que légaliser une situation existante ? A mon avis, il s'agissait plutôt d'un procès d'intention suscité par le mépris qu'inspirait à l'intelligentsia bourgeoise tout ce qui était amazigh.

Ce qui est déconcertant à ce sujet c'est de constater que dans une lettre adressée à feu S.M. le Roi Mohammed V, le 23 août 1930, le mouvement dit nationaliste avait parmi ses revendications demandé de substituer aux tribunaux coutumiers les juridictions caidales qui n'appliquaient pourtant pas la Chariâa, loin s'en faut, mais en plus étaient entièrement au service des intérêts de l'occupant.

Et ce n'était pas en officialisant la justice coutumière dans des îlots éparpillés en peau de chagrin sur l'étendue du territoire, et particulièrement dans des régions semi-arides qu'on pouvait créer une entité amazighe. D'ailleurs, Jacques Berque, qui se refusait à croire à une telle idée de la part de la France, qualifia ces îlots de "réserves pour bons sauvages".

Si la France avait vraiment conçu un tel projet, elle n'aurait pas consenti d'enormes sacrifices pour soumettre ces tribus et les rattacher une fois pour toutes à l'autorité du pouvoir central puis, se mettre en suite à détruire ce qu'elle considérait comme étant le couronnement de son oeuvre pacificatrice au Maroc.

Bien mieux, son action, emprunte de jacobinisme et de centralisme politique, avait anéanti ce qui restait encore du système démocratique et égalitaire chez les tribus amazighes, en les rattachants aux pôles d'attraction économique que constituaient les sept chefs-lieux des régions de Rabat, Fès, Meknès, Marrakech, Casablanca, Oujda et Agadir, activant leur assimilation et leur arabisation et réussissant ainsi, là où le makhzen avait échoué des siècles durant.

Q : Justement, est-ce que vous pouvez nous apporter des éclaircissements sur les compétences des tribunaux français ?

R : En donnant compétence aux tribunaux français pour connaître des infractions aux lois et aux règlements ainsi que des litiges que soulevait leur application c'était toute la vie publique marocaine qu'on soumettait aux juridictions françaises.

A ce titre, nous pouvons citer quelques exemples concernant notamment les poursuites pour le non-respect des textes ayant trait aux associations, aux sociétés à la presse, aux obligations et contrats, à l'emploi, aux assurances, à l'émission de cheques, à la circulation, à l'urbanisme, à l'eau potable, à l'usure, à la forêt, à la chasse, à la santé, à l'hygiène etc...

Le Dahir du 12 septembre 1913 sur l'organisation judiciaire du Royaume habilitait en outre les tribunaux à statuer sur les contentieux administratifs ainsi que les affaires civiles et commerciales dans lesquelles un citoyen marocain était mis en cause avec un français ou un ressortissant français.

Ce même texte permettait à ces juridictions d'appeler devant elles les sujets marocains dans les formes prévues par la loi française ou par les dahirs ayant dicté les règles spéciales à ce sujet. On peut estimer que durant la période du protectorat, plus de 8000 dahirs, sans parler des arrêtés viziriels et d'autres règlements, ont été promulgués. On y trouve des milliers de cas portant atteinte à la souveraineté nationale et donnant prédomination à la justice coloniale sans que cela ait provoqué le moindre sursaut politique chez l'intelligentsia bourgeoise.

Les Marocains étaient donc justiciables des tribunaux français depuis leur création en 1913 et avoir attendu la promulgation du Dahîr du 16 mai 1930 pour appeler à manifester contre son article 6, c'était faire preuve d'une ignorance totale du fonctionnement de la justice dans notre pays ou tout simplement, vouloir abuser de la crédulité des citoyens, en leur faisant croire que seuls les Imazighens allaient être soumis à la justice française. D'ailleurs les instigateurs des manifestations. en déposant quelques années après les statuts de leur parti auprès des autorités françaises n'ont fait que déclarer leur soumission aux lois et aux tribunaux français, préférant ainsi opter pour une voie moins risquée et tenant compte des perspectives d'avenir que de choisir l’alternative de la résistance nationale du début du siècle et de 1953.

Q : Q'est-ce que la présence française au Maroc a apporté aux tribus berbères ?

R : Tous les historiens et chercheurs concordaient à considérer les montagnes de l'Atlas territoire des tribus non soumises à l'autorité du pouvoir central comme un havre de paix et de prospérité, contrairement au bled Makhzen qui pliait sous le joug de l'oppression des caïds qui ne se souciaient guère que de l'accroissement de leur fortune et de l’extension de leur influence au détriment du bien être des populations qu'ils administraient.

Le système communautaire de ces tribus montagnardes permettait la réalisation et la gestion des équipements d'intérêtcommun qui profitait à l'ensemble de la population (greniers collectifs, lieux de culte, marchés, maisons d'hôtes, travaux d’irrigation banquettes pour culture en terrasse etc.) Le fonctionnement des institutions et particulièrement la justice était confié aux représentants élus selon une tradition propre à chaque tribu et le seul qu'elles acquittaient était l'impôt de droit canon (la Zakate et l 'achour) versé aux institutions religieuses.

Telle était à peu près la situation dans ces tribus à la veille du protectorat. L'arrivée des troupes françaises sur le territoire national bouleversa complètement leur situation et les contraignait à assurer presque toutes seules la charge de la guerre sainte et de la résistance à l'occupant sans aucun soutien du Bled Makhzen occupé à profiter des "bienfait" de la domination française

La conquête coloniale a engendré la déstruction et la ruine de l'économie des tribus et a fait de leur territoire, jusqu’à l’indépendance, une zone d'insécurité marquée aux liserés rouges sur les cartes administratives. Les populations restées suspectes après leurs rédition étaient placées sous haute surveillance et les déplacements dans les tribus étaient soumis à un sérieux contrôle. Les chioukh et l'autorité de contrôle étaient là pour le faire savoir à qui l'ignorait. Quiconque ne saluait pas militairement les responsables français à leur passage était malmené ou emprisonné. Le port de la tenu européenne et les cheveux longs étaient une source d'ennuis. Il en était de même de la lecture des journaux. Le courrier était ouvert et son contenu vérifié.

Le patrimoine des tribus lui aussi ne fut pas épargné, leurs meilleures terres allaient être déclarées collectives dans le seul souci de constituer une réserve foncière pour la colonisation. Cette mesure toucha 10 millions d'hectares. Injustice que l'indépendance n'a pas réparé. Pourtant l'occupant s'était appuyé pour réaliser son objectif sur le droit coutumier berbère que le mouvement dit nationaliste prétendait combattre. Ces terres continuent à être gérées par le ministère de l'intérieur qui en dispose sans aucun contrôle étatique... Comme Si ces malheurs ne suffisaient pas et qu'il fallait encore aggraver le châtiment infligé à ces tribus, on les assujettit au tertibe et aux préstations. Contributions injustes et impopulaires. Les populations en avaient tellement souffert que leur suppression fut parmi les premières décisions du gouvernement marocain au lendemain de l'indépendance.

Le tertib : Cet impôt avait été institué par Hassan 1er et avait rencontré une forte opposition de la part d'une certaine bourgeoisie citadine qui préféra pour y échapper se placer sous la protection impérialiste et pécipiter ainsi la colonisation du Maroc.

Acquitté sur la production agricole et l'élevage son assiette et son recouvrement étaient confiés aux caïds et chioukh qui n'étaient pas rétribués, mais percevaient un pourcentage sur le produit des recouvrement. Ce qui les incitait à fortement imposer les contribuables que l'année agricole fût bonne ou mauvaise, ils n'étaient préoccupés au plus haut degré que par leur prime de fin de campagne qui devait être en constante progression. Inutile d'insister sur les conséquences désastreuses d'un tel comportement sur la vie des populations de ces contrées.

L'impôt de prestations : destiné en principe à l'entretien des pistes, était acquitté en espèce ou en nature et correspondait à quatre jours de travail par an. Comme cet impôt frappait surtout les populations à faible revenu ne disposant pas de moyens financiers, pour s'en libérer, les ruraux n’avaient d'autres solutions que l'enrôlement en vue de leur emploi sur les chantiers des travaux, à leur frais, ou leur location aux exploitants, forestiers et aux colons qui les affectaient aux travaux de ferme.

Cette main d'œuvre laborieuse et à bon marché était tellement recherchée, qu'elle donna lieu à des enrôlements abusifs, qui n'épargnaient même pas les enfants. Ce qui obligeait les jeunes à quitter leur lieu d'origine dès qu'ils se sentaient concernés par l'opération...

Enfin, la "Tiwizi" qui permettait de réaliser des équipements d'intérêt commun ou d'effectuer des travaux à des personnes qui en étaient incapables devenait une corvée au profit des caïds et des chioukh. Tel est le lot de malheurs que la "pacification" apporta aux montagnards. Qu'ont-ils gagné en contre partie ? Aucune infrastructure économique n'a été réalisée, aucun équipement socioé-ducatif. Les premières écoles foraines avaient commencé à voir le jour dans les années quarante, c'est-à-dire presque à la veille de l'indépedance.

Q : Qui sont les instigateurs du dahir dit berbère, et quelles étaient leurs relations avec le colonialisme ?

R : Je ne peux rien vous apprendre que vous ne sachiez déjà, sur cette affabulation et ses auteurs issus de la bourgeoisie makhzénienne, qui exerçait son influence dans les vieilles cités marocaines où elle représentait, à peine, 20 % de la population (principalement à Rabat, Fez et Salé...), et en constituait l'élite bourgeoise, qui vivait, de tout temps, dans le sillage des dynasties qui se sont succédées dans le pays et profitait des largesses du makhzen.

Avec l'affaiblissement du pouvoir sultanien et l'accentuation des ambitions impérialistes européennes, au début du 19ème siècle, cette bourgeoisie entra en contact avec les puissances étrangères, se soustrayant, petit à petit, à l'autorité Royale pour se placer sous la protection étrangère. Elle utilisa cette situation pour fuir ses obligations nationales, notamment l'acquittement de l'impôt, tout en occupant une meilleure position, pour tirer profit de la période de crise que traversait le Maroc et accroître sa fortune. Ce comportement anti-national allait balkaniser le Royaume s'il n'y avait eu l'intervention énergique de Moulay Hassan, qui provoqua en 1880 la conférence de Madrid, pour stopper l'hémorragie des protections étrangères. Le principal souci de cette bourgeoisie, avec l'instauration du protectorat, fut de s'allier à l'occupant. pour développer son capital, tout en lui confiant sa progéniture pour en assurer la formation. Attitude qu'elle adopta tant que dura la guerre patriotique contre les armées coloniales. Ce n'est qu'une fois convaincue de l'essoufflement de la résistance armée, que la bourgeoisie citadine sortit ses antennes, tel un escargot.

Son premier geste consista à déverser le venin, qu'elle ne cessa de distiller sur ceux qui n'épargnèrent aucun sacrifice pour assurer le triomphe de l'Islam et la sauvegarde de la patrie des griffes des mécréants. Ses attaques visèrent ce qu'il y a de plus sacré chez les Amazighs la foi et l'amour de la patrie.

Où donc étaient ces zélateurs, lors des épopées des Ait Baâmrane, du Rif, du Saghro, des Ait Baha... pour se permettre de proférer des injures, tendant à faire douter de la ferveur de la foi et du patriotisme des combattants contre l'envahisseur ? Pouvaient-ils se targuer d'un seul martyr sur les champs de bataille ?

Etaient-ils aussi versés dans les sciences religieuses et aussi défenseurs de la foi, que l'étaient Abdallah ben Yacine, Mehdi ben Toumert, les Souverains Alaouites dont Moulay Hassan, qui tous, préservèrent la justice coutumière en se limitant à adjoindre aux Jmaâ un fqih, de rite malékite, pour recueillir son avis en matière religieuse ?

Et si, au lieu de jouer aux opportunistes politiques, en inventant leur histoire, pour s'imposer comme seul interlocuteur valable dans le pays, et Si au lieu de s'attaquer traîtreusement à ceux qui continuaient encore à verser leur sang pour défendre nos valeurs nationales, et Si au lieu de poignarder les défenseurs de la patrie dans le dos, juste au moment où ils avaient le plus besoin de soutien, ces "politiciens" entreprenaient de soutenir moralement et matériellement les combattants. Le sort des armées coloniales et de la patrie aurait été différent. Mais, pour cette élite, l'élimination d'éventuels concurrents sur le plan politique prime l'intérêt national, quelle que soit la méthode utilisée pour atteindre cette fin.

Pourquoi ne réagirent-il pas en 1913, lors de l'instauration des tribunaux de pachas et de caïds, qui symbolisèrent une justice tristement célèbre par la terreur et le pillage, et qui évincèrent la chariâa de son champ d'application, pour en faire un simple appendice de leurs juridictions? D'autant plus que l'institutionalisation de ces tribunaux visait, essentiellement, à servir les intérêts de l'occupant. Ce quelques événements ne démentirent point. La mémoire des citoyens retient encore l’injustices des pachas El Glaoui, Belbaghdadi, El Korchi, Belmadani, Benhayoun etc... et leur collaboration avec l'occupant.

La même attitude fut adoptée par cette élite bourgeoise lorsque la France, inquiétée par les prêches des Oulemas d'Al Azhar, qui tentaient de raviver la foi et de réveiller le monde musulman de sa torpeur et craignant que la contagion n'atteignit les Oulémas de la Karaouiyine, qui seraient tentés par leur exemple, décida de s'en prévenir en édictant deux dahirs. Celui du 31 Mars 1933, relatif à l'organisation de la Karaouiyine, transforma la plus vieille université du monde, en simple école de formation de cadres rattachés au ministre de la justice, alors qu'elle s'était acharnée, à travers les siècles, à défendre jalousement son indépendance, pour assurer, en toute liberté, le développement et le rayonnement des sciences. Le second dahir, promulgué le 10 Mai 1933, relatif à la discipline au sein de l'université Karaouiyine et autres établissements d'études islamiques au Maroc, "interdisait de prononcer des discours, de faire des cours ou des conférences, de rédiger des circulaires... de nature à démoraliser les étudiants, et à les distraire de leurs études où à porter atteinte à l'ordre public..."

Ces dispositions portaient, non seulement une grave atteinte à la liberté de l'enseignement et de l'expression, mais encore, rendaient répréhensible l'exercice de l'un des fondements de l'Islam qui consiste à ordonner le Bien et interdire le Mal; obligation faite à tout musulman.

Il suffit, pour saisir la gravité de ce dahir, de savoir que les jurisconsultes musulmans, parmi lesquels le célèbre Alfechtali, interdisaient le séjour dans des contrées où la pratique incriminée n'était pas permise. Ils ne toléraient ce séjour que dans deux cas. Celui où le musulman était captif chez les infidèles ou lorsqu'il s'agissait de délivrer un captif musulman. Cette loi faisait du Maroc, au regard de ces jurisconsultes, un pays de mécréants où le séjour n'était pas permis à un musulman.

Pourtant, notre noble élite n'avait pas bougé le petit doigt pour s'opposer à sa promulgation et elle ne pouvait prétendre son ignorance, puisqu'un grand nombre de ses membres étaient sortis des instituts islamiques.

En examinant le chant intitulé "Mghribouna" du Parti de l'Istiqlal, chant dont les leaders entendaient faire l'hymne national marocain, nous remarquons que ce texte reflète le fond de leur pensée et leur idéologie: ni l'islam ni la Monarchie n'y sont mentionnés. C'est un chant laïc, dans le vrai sens du terme. il s'agit d'un vrai sacrilège de la part de ceux qui se faisaient passer pour les défendeurs zélés de l'Islam et de la Monarchie. En sachant tout le soin accordé à la composition de ce chant, que ses termes ont été choisis à dessein, il est difficile d'admettre que nous sommes en présence d'un oubli fortuit, mais plutôt d'une omission délibérée.

Lorsque, au lendemain de l'indépendance, on confia le pouvoir à cette élite bourgeoise, elle oublia très vite ses slogans salafites, et au lieu de redonner à la chariàa la place qui lui revient de droit, dans un pays musulman, elle la confina dans le statut personnel, en édictant la "moudaouana". Elle entérina ainsi l’œuvre du protectorat qui fit du Maroc un État laïc. Elle donna par ses agissements, la preuve irréfutable que tout ce qui l'intéressait, c'était de faire main basse sur les secteurs clef de l'économie nationale.

Pour conclure cette question, il y a lieu de souligner un fait qui témoigne de la ferveur des Amazighs pour tout ce qui touche la défense et la propagation de l'Islam. Bien des années avant que l’élite bourgeoise ne projeta de se réunir dans des mosquées, en s'assurant que les portes étaient bien verrouillées, (pour éviter toute intervention de la police, lors de la lecture du "latif"), les Amazighs marocains, alors que leurs frères affrontaient encore les armées coloniales dans les montagnes de l'atlas, et reliant avec la tradition de leurs ancêtres Tarik ben Ziad, Youssef ben Tachafine, Yaccoub El Mansour, avaient déjà contribué à faire de l'islam la deuxième religion de France, et participé à la construction de la grande mosquée de Paris. Sont le type architectural symbolise l'appartenance de cet islam au monde nord-africain.

Q : Vous avez affirmé que les marocains étaient justiciables des tribunaux français, depuis la création de ceux-ci en 1913, pourriez-vous nous citer des exemples de textes qui portaient atteinte à la souveraineté nationale, en donnant prédominance à la justice coloniale, bien avant la promulgation du dahir de 1930?

R : Avant de répondre à la question, je saisis l'occasion pour aborder un point essentiel dans le sujet qui nous concerne, et en particulier l'application de la Chariaâ dans notre pays. Il ne vous échappe pas que le Mouvement "Nationaliste" avait fait du retour à la Chariàa son cheval de bataille. Or, le Maroc d'avant le protectorat, tout au moins à partir du 19ème siècle, était-il vraiment un pays où la Chariàa était appliquée, comme le prétendaient les dirigeants de ce mouvement ? Il y a des raisons d'en douter car ,en principe, en terre d'Islam, la plus haute autorité juridique après l'Émir était le Cadi, dont les pouvoirs n'étaient limités que par le Coran et la Sunna. En fait, cela n'était pas le cas, durant cette période, dans notre pays, où les pouvoirs militaires, administratifs et judiciaires, étaient concentrés entre les mains des Pachas et des Caïds. C'était eux qui rendaient la justice alors même qu'à de rares exceptions, ils ne disposaient que de bien peu de culture, et à plus forte raison d'une formation juridique. Quand aux Cadis, qui étaient pour la plupart désignés dans l'entourage des agents d'autorité ou parmi leurs proches, mis là pour veiller aux intérêts de ceux dont ils détenaient cette fonction, leur rôle se limitait à la rédaction d'actes juridiques concernant, en particulier, le mariage, le divorce et la succession. La Chariâa étant ainsi marginalisée par le pouvoir, et le Souverain ne légiférant pas, la justice était par conséquent exercée de manière arbitraire dans le Bled Makhzen.

Inutile de dire que cette situation facilita la tâche à la France, qui pouvait promulguer, en toute quiétude, des textes, sans risquer de susciter des conflits de loi, avec d' autres textes en vigueur, notamment en matière civile et pénale, pour la bonne raison qu'ils n'existaient pas. Cette action fut inaugurée par la circulaire du 2 Septembre 1912, portant création du Bulletin Officiel, rendant obligatoire la publication des lois et règlements pour qu'ils soient contraignants. Le B.O. devient, de ce fait, l'unique référence sur le plan légal et, désormais, aucun citoyen ne saurait être astreint au respect d'une loi, fût-elle divine, Si elle ne figure pas dans le B.O, ce qui a eu, en outre, pour conséquence ceci :

  • La rupture avec l'État de droit canon qu'était, en principe, le Maroc et l'instauration d'un État de droit tout court. Le Souverain, lieutenant de Dieu sur terre, dont le rôle essentiel consistait à veiller au respect des lois divines, devenait législateur, et promulguait des lois séculères, largement inspirées de la législation occidentale. Le Maroc se mua en un État laïc, malgré le respect des apparences d'un Etat islamique.
  • L'instauration du bilinguisme français-arabe, qui date officiellement de cette circulaire, stipule que les lois et règlements doivent être publiés en deux langues: l'arabe et le français. Ce texte ne fait aucune référence à la langue de la vaste majorité des habitants du pays. Pourtant, son auteur n'est autre que le maréchal Lyautey qu'on taxait, pourtant, de berbérophilie.
  • Le Bulletin officiel rendait des lois françaises applicables dans notre pays, par la simple publication de dahirs ou de décrets du président de la république française, autorisant leur entrée en vigueur au Maroc. Cette pratique constituait, non seulement une entorse au pouvoir du Souverain, mais portait, en plus, une grave atteinte à la souveraineté nationale.

Revenons plus précisément à votre question qui nécessiterait un espace plus étendu pour qu'elle soit traitée équitablement. Il y a lieu d'établir tout un repertoir Si l'on veut y répondre d'une manière exhaustive. Je vais, toutefois, citer quelques exemples pour étayer mes propos:

  • Le dahir du 12 Août 1913, portant création des tribunaux français, stipule dans son article 9 que: ‘ces juridictions connaîtront de toutes les affaires civiles et commerciales, dans lesquelles des Français ou des ressortissants français seront mis en cause’. Et comme notre pays abritait, au temps du protectorat, plus d'un demi million d'européens qui y détenaient les leviers de commande et dominaient son secteur économique, on peut mesurer la teneur de ce texte. Nos concitoyens entretenaient, forcément, avec cette colonie, des rapports pouvant engendrer des litiges qui relevaient de la compétence exclusive des tribunaux français. Ils se trouvaient donc, par voie de conséquence, contraints de recourir à ces instances, pour défendre leurs intérêts. Je vous laisse le soin de deviner le nombre de citoyens marocains qui avaient franchi le portail de ces tribunaux, pour faire valoir leur droit.
  • L'article 41 du dahir du 30 Octobre 1914, sur la circulation et le roulage stipule que: ‘Les délits prévus par le présent dahir sont sanctionnés par l'article 463 du code pénal français’. Il suffisait, par conséquent, au citoyen d'emprunter la voie publique, monter une bicyclette, de conduire une voiture ou de laisser son âne ou ses chèvres traverser la chaussée, pour risquer d'enfreindre cette réglementation et encourir des poursuites devant les tribunaux de 1913.
  • Les infractions au dahir du 11 Septembre 1914, sur le change de la monnaie Hassanie "sont réprimées par les peines prévues à l'article 463 du code pénal français, prononcées par juridictions françaises". Or, qui thésaurisait le Hassani? Qui spéculait sur cette monnaie? En tout cas, pas le paysan ni le montagnard marocain qui était encore aux prises avec les armées coloniales.
  • Les auteurs des infractions aux dispositions du dahir de 10 Octobre 1917 sur la conservation et l'exploitation des forêts "encouraient les peines prévues par les articles 140 et 141 du code pénal français". Inutile d'insister sur le nombre de paysans et de paysannes, pour ne citer qu'eux, qui pouvaient tomber sous le coup de ces dispositions, compte tenu de ce que leur exsitence était intimement liée à l'exploitation de la forêt.
  • Les tribunaux français étaient seuls compétents pour connaître des infractions au dahir du 28 Janvier 1918. réglementant la fabrication et le commerce du pain et de la pâtisserie. Les peines prévues figurent à l'article 463 du code pénal français.

Je cite, enfin, deux exemple de textes introduisant la législation et la réglementation française au Maroc :

  1. Le décret en date du 31 Juillet 1913 du président de la République française, autorise la création, dans la zone du protectorat français controleurs d'un corps civil.
  2. Le Dahir du 10 février 1920 rend applicable, dans la zone française de l'empire chérifien, la loi du 24 Octobre 1919, relative à l'amnistie. Ce texte stipule que : ‘tout faits visé à ladite loi qui ont été commis en zone française du Maroc, bénéficient de l'amnistie dans les mêmes limites et sous les mêmes conditions avaient été commis en France’.

Q : Peut-on parler d'une "politique berbère" de la France en nous référant au dahir de 1930 ?

R : Ce texte n'apporte rien de nouveau, qui puisse permettre de faire une quelconque déduction politique. Les marocains étaient soumis aux tribunaux français, bien avant la promulgation de ce dahir et les institutions judiciaires amazighes existaient depuis des temps immémoriaux et avaient été maintenues par toutes les dynasties qui se sont succédées au Maroc, même par la plus rigoriste d'entre-elle, la dynastie Almohade. Elles étaient ouvertes à tous les justiciables sans aucune distinction. La France n'a fait qu'entériner cette réalité. Pour qu'on puisse se trouver devant une politique berbère du colonisateur, Il faudrait, comme l'a si judicieusement mis en relief Salem Chaker, dans son livre, Berbères d'aujourd'hui, ‘qu'on ait devant soi, un ensemble de mesures (législatives, réglementaires et matérielles), et de finalités tendant vers un but stratégique clairement conçu et posé’.

Semblables mesures avaient été prises, au début du siècle, par la France et l'Angleterre, animées par un esprit de croisade, au Moyen-Orient, quand elles s'étaient engagées à créer, sur le territoire syrien, deux entités, l'une chrétienno-musulmane et l'autre juive, en encourageant la promotion des représentations ethniques et confessionnelles, et en procédant à des découpages territoriaux permeffant la création de deux États des plus viables et des plus équilibrés de la région: le Liban et Israël.

Rien de tel n'avait été entrepris au Maroc, durant la période coloniale. Le dahir, lui même, ne concernait qu'une petite minorité de citoyens. Puisque le texte comme on l'a déjà vu s'appliquait aux sujets marocains et non aux seuls Amazighs, comme s'acharne à vouloir le faire comme les allégations du mouvement dit nationaliste. Quant aux Amazighs, leur grande majorité échappait aux dispositions du texte. Il y avait plus d'amazighophones dans les grandes villes du Royaume où ils constituaient à l'époque plus de 57% de la population, que dans toutes les chaînes de montagnes de l'Atlas et ils relevaient, au même titre que les autres citadins, de la justice makhzénéenne (tribunaux de Pachas et de Cadis). Ajoutons à cela les grandes confédérations de tribus berbères, administrées par les caïds, qui étaient aussi soumises à ces juridictions. Figuraient parmi ces confédérations, dans le Sud marocain: les Haha, les Ksima -Mesguina - les Chtouka et les Ait Massa. Si ce dahir devait, par conséquent, susciter quelques divisions, les amazighs auraient été les premiers à en être affectés.

Par ailleurs, aucune action concrète n'avait été entreprise, pour dégager une représentation amazighe, au sein des institutions locales ou nationales (assemblées locales - chambres professionnelles, conseil de gouvernement...). Ces institutions continuaient à fonctionner dans la pure tradition makhzénienne, de même que leurs dirigeants étaient choisis, comme par le passé, dans le même milieu social, jusqu'au gouvernement qui ne comportait aucune personnalité amazighe, du moins à ce titre.

La presse, quant à elle, n'avait pas un seul organe en langue amazighe, même les journaux de collaboration paraissaient uniquement en arabe (El Widad - Saada - El Houria).

Durant toute la période coloniale, la France s'était efforcée à donner l'impression de respecter cette tradition makhzénienne. Et au plus fort de la crise avec le Palais, et une fois que la décision a été prise de destituer le Souverain, elle n'avait pas failli à cette règle, en veillant à ce que le coup de force intervint sous l'emblème makhzénien (le Corar et la Harka; Abdelhay El Kettani, chef de la confrérie Kettanie et le Pacha Thami El Glaoui en étaient les porteurs. Ils se disaient, tous les deux, de descendance chérifienne).

Le scénario débuta par la réunion des Qulémas, des Chorfas et des chefs de confréries religieuses, qui émirent une fatwa, déclarant le Sultan désormais indigne d'assumer la fonction d'Imam, et conformément à cette sentence, on réunissait à Marrakech les pachas, les caïds, les Chioukhs et les notables qui demandaient sa déposition.

Le colonisateur considérait que le meilleur moyen d'atteindre ses objectifs, sans trop de frais, résidait dans la préservation des structures existantes et la récupération de ceux qui en assuraient le fonctionnement, pour en faire des instruments au service de ses intérêts. Aussi manifestait-il une hostilité à toute tentative de bouleversement de ces structures, de crainte qu'elles n'engendrât l'effet d'un boomerang, qui contrarierait ses projets. Cette méthode avait pour lui l'avantage d'apaiser les esprits et de préserver certains intérêts locaux, qu'il convenait de ménager.

C'était dans ce contexte et en arguant de la préservation de la tradition que la France avait maintenu la justice makhzen et le Orf (Azerf, justice coutumière), pour en faire une arme, destinée à l'assujettissement et à l'exploitation des masses populaires, à tel point que la fonction judiciaire était devenue synonyme de corruption, d'injustice et de collaboration. Ce qui discrédita la magistrature, sous toutes ses formes, aux yeux des citoyens.

En agissant de la sorte et en permettant que ces abus fussent commis au nom de la loi et avec la bénédiction de la puissance "protectrice", la France avait, non seulement causé le plus grand tort à la justice marocaine, mais, en outre, détruit une institution plusieurs fois millénaire qu'était la justice coutumière.

Si un jour il vous arrive de visiter les montagnes de l'atlas, interrogez les vieilles personnes que vous rencontrerez sur votre itinéraire sur le Dahir berbère ; elles vous répondront qu' elles n'en ont jamais entendu parler. Par contre, dès que vous aborderez Azerf, elles répliqueraient qu'elles s'en rappelaient parfaitement et que leur contrée a, de tout temps, été administrée par la coutume. Elles vous donneront moult détails sur les injustices qu'elles ont subies, durant la période coloniale, ainsi que sur les exactions des Chioukh, et que l'indépendance a été pour elles une véritable délivrance.

Il me vient à l'esprit une histoire qui s'était déroulée en Kabylie, sous l'occupation française, lorsque la France s'était aperçue que le code coutumier constituait un facteur de solidarité entre tribus et que cette solidarité risquait de mettre en danger l'occupation. Elle tenta de la briser par l'introduction de lois métropolitaines dans la région et en particulier le code pénal français. Les populations s'y opposèrent et chaque fois qu'un crime venait d'être commis dans une tribu et que le prix du sang était acquitté, la famille armait d'un fusil le meurtrier, l'approvisionnait et l'envoyait dans la montagne, avant que la gendarmerie française n'intervint. Le phénomène atteignit une ampleur telle qu'à la veille de la guerre d'indépendance algérienne, le nombre de ses maquisards appelés "bandits d'honneur" avait été estimé à plus de 1.300 personnes, dans les montagnes de Kabylie et des Aurès. Groupés en formations paramilitaires, ils n'attendaient qu'un signe, pour entrer en rébellion contre l'autorité française, sûrs qu'ils étaient du soutien de la population montagnarde. Beaucoup parmi eux étaient déjà condamnés à mort par contumace. C'était eux qui avaient déclenché le soulèvement de novembre 1954, et qui constituèrent le premier noyau de l'armée de libération algérienne.

Donc, sans la ‘coutume berbère’ - et sans les "bandits d'honneur", qui la défendirent - cette armée de libération n'aurait peut-être jamais existé. Ce qui fit dire un jour à Krim Belkacem, qui faisait partie des "bandits", lorsqu'un journaliste lui posa la question de savoir quand il avait rejoint le mouvement de libération national, que c'est ce dernier qui l'a, en fait, rejoint.

Examinons maintenant l'allégation des dirigeants politiques qui avaient attaqué le Dahir. en prétendant que sa promulgation visait a christianiser et a franciser les Berbères. pour les soustraire à l'autorité du Souverain. Il est certain que toute loi vise un objectif politique, à savoir marquer de son empreinte la société marocaine nous constatons, par ailleurs, les cons&

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14 septembre 2005 3 14 /09 /septembre /2005 00:00
  L'Histoire d'une grande reine amazighe:


Jamais sans doute un personnage historique n'a fait l'objet de tant d'interprétations. La reine Dihya est en effet plus qu'une reine au comportement exemplaire et héroïque. Elle est un symbole de résistance, et habite l'imaginaire des Imazighen. Son nom n'est même pas bien établi : elle s'appelait peut-être Dahya, Damya ou Kahia.

Bien des interprétations la concernant ne sont pas sans arrière-pensées idéologiques. Pour les Occidentaux, il s'agit d'une reine mythique, comme s'il fallait minimiser son combat. On la dit chrétienne dans le même but, comme si elle présageait de la domination coloniale, alors qu'elle fut au contraire l'exemple du refus de la soumission. Les historiens arabes la surnommèrent Kahina, ce qui veut dire la prophétesse, au sens noble, mais aussi péjorativement la devineresse, la sorcière pour certains. Certains la déclarèrent de religion juive pour montrer qu'elle était une ennemie de la foi musulmane, ce qu'elle fut effectivement, mais certainement pas en termes religieux. Quant aux juifs, ils l'admirèrent, faisant un parallèle avec Déborah, la princesse mythique qui réveille le peuple(1). Les Imazighen eux-mêmes ont sans doute exagéré le personnage, puisqu'on lui prête parfois l'âge, de toute évidence très exagéré, de 127 ans à sa mort !


Dans cette page nous avons voulu avant tout faire la part de la réalité historique si difficile soit-elle à connaître et les légendes. Dihya est effectivement un exemple de courage hors du commun. Chef politique hors pair, elle était aussi une femme qui su protéger ses enfants.


Le nom de DIHYA ou KAHINA
Dihya, Dhaya ou Damya ? Les sources divergent et on ne connait pas son vrai nom. Si on retient Damya, ce prénom vient sans doute du verbe edmy en tamazigh, qui signifie devineresse. En Chaouias Tacheldit, Dihya signifie "la belle". On a souvent appelé la reine Dihya Tadmut ou Dihya Tadmayt. Tadmut/Tadmayt signifie gazelle. Les imazighen avaient coutume de prendre comme prénoms, des noms animaux. Dyhia Tadmut pourrait signifier tout simplement "La belle gazelle".
En ce qui concerne le surnom de Kahina, il est manifestement arabe. Cependant, si certains historiens arabes et juifs la décrivent comme un personnage haïssable, il n'est pas certain qu'il soit péjoratif. Kahina a été souvent interprété comme signifiant sorcière. La réalité est différente. A, l'origine, le terme, qui donne aussi les prénoms féminins Karine et Karina, signifie en grec "être pure". De là en Hébreu, la dérivation Cahen, Cohen, qui signifie prêtre ou prêtresse, donc homme ou femme pur et le prénom français Corinne qui signifie femme pure. On sait qu'en Afrique du Nord, toutes les prêtresses subissaient un rituel de purification, qui semble être une tradition d'origine animiste. En arabe, le dérivatif Taher, qui vient de Kahin, a le même sens. Ce surnom s'appliquait aux prophètes et poètes avant l’islam et il n'est pas péjoratif. Il n'est pas étonnant que Dihya se soient vu donner à la fois les qualités de Reine et de Prêtresse. Les anciens Aghellid, c'est à dire les rois, avaient aussi un pouvoir spirituel.

Les origines de Dihya.
On ne sait presque rien de son origine. Nous ignorons sa date de naissance. Ce qui est certain, c'est qu'elle originaire de la tribu Djawara ou Jeroua donc une tribu Zénata, dont le mode de vie était pastoral et semi-nomade.
Elle est peut-être la fille de Mélag, Roi des Aurès. Selon Ibn Khaldoun, elle serait une Zénata de la branche Madaghis (ou Badaghis). Sa généalogie serait la suivante : Louwa le Grand ---> Nefzawa ---> Banou Yattofene --> Walhassa --->Dihya.
Ces hypothèses contradictoires ont au moins deux points communs. La reine Dihya était une noble et elle était originaire de l'Aurès, sans doute descendante d'une très ancienne lignée amazighe. Ceci explique comment elle parvint à la royauté. Il semble que son pouvoir lui fut donné par un conseil de tribus, ce qui était courant à l'époque. Grâce à son intelligence remarquable, elle organisa une confédération, regroupement de tribus, ce qui était courant face à un péril grave. La légende dit aussi qu'elle aurait été d'une beauté éblouissante. Ce genre de description, basé sur l'admiration, doit être pris avec circonspection. Il est courant de magnifier un personnage important, et à plus forte raison une femme, par la beauté. On sait que c'est à un âge avancé qu'elle est amenée à lutter contre les musulmans. Elle était sans doute âgée au moins de quarante ans (plus probablement cinquante ou soixante ans, on ne sait).


La religion de Dihya
On ne sait pas précisément sa religion. Peut-être fut-elle chrétienne ou juive, mais elle a pu être également animiste. Ce point est très controversé. Nous donnons ici quelques éléments de discussion. C'est Ibn Khaldoun qui émet l'hypothèse qu'elle était juive. Mais on peut raisonnablement penser qu'elle était animiste :

L'histoire des juifs d'Afrique du Nord est relativement bien connue à cette époque. Les communautés étaient très restreintes. Elles étaient acceptées, mais on ne voit pas comment une reine juive auraient pu avoir le pouvoir. Il n'y a jamais eu de rois ou de reines juifs dans les Aurès d'après les documents historiques. Par ailleurs l'invasion musulmane fut accompagnée de l'implantation de juifs, qui assumaient les métiers interdits aux musulmans : banquiers, certains métiers du commerce, et surtout forgerons. Ces métiers étaient absolument indispensables à l'armée musulmane, et à l'administration des territoires conquis. L'Islam, à cette époque, les protégeait. Si Dihya avait été juive on ne voit pas pourquoi elle aurait combattu les musulmans. Ce n'est pas pour rien que les historiens juifs l'ignorent ou, au contraire, la décrivent comme une redoutable ennemie. Il nous semble plus logique de penser que lorsque Ibn Khaldoun la dit juive, il veut tout simplement dire qu'elle appartenait à une religion existant avant l'Islam. On a qualifié à tort la reine touarègue Ti Hinan de chrétienne de la même manière. La découverte de son tombeau a montré que cette reine était animiste. Quelque soit la rigueur d'Ibn Khaldoun, on peut penser qu'il n'avait pas les moyens de déterminer exactement, plusieurs siècles après, la religion de Dihya.

Prétendre qu'elle fut chrétienne se heurte à d'autres difficultés. A cette époque, le christianisme s'était effondré depuis longtemps en Afrique du Nord. Le seul royaume chrétien restant était celui des Djeddars, dont on ne sait pas grand chose sinon que les Byzantins cherchèrent sans succès à s'en faire un allié. Les Byzantins tentèrent d'imposer un christianisme d'état, ce qui provoqua une guerre entre eux et les Imazighen qui dura plusieurs siècles. Or, les Imazighen laissent au départ musulmans et byzantins s'entretuer. Si elle avait été chrétienne, Dihya se serait probablement alliée au Byzantins, d'autant que la révolte de Koceilia contre les musulmans, quelques dizaines d'années auparavant, devait encore être dans toutes les mémoires.

On a affirmé aussi que Dihya était adoratrice de Gurzil, une divinité amazighe représentée par un taureau. Si le culte du Taureau, symbole de virilité et de puissance, est connu en Afrique du Nord dans l'Antiquité, aucun élément historique ne prouve que Dihya en fut une prêtresse.

On peut donc penser que Dihya était très probablement animiste, mais sans que l'on connaisse vraiment le culte auquel elle appartenait. Cependant, faute de preuves archéologiques, nous nous garderons bien de nous avancer plus. Selon la légende, elle vivait dans un somptueux palais. A plusieurs reprises, on a pensé l'avoir trouvé, mais apparemment sans succès pour l'instant.


Eléments historiques
Voici ce qui généralement est admis par les historiens de l'histoire de Dihya:
A son époque, une guerre oppose les musulmans, dirigés par Hassan d'Ibn en Nu'man, les chrétiens byzantins, qui tentent de préserver leurs possessions dans cette région, et les Imazighen, habitants des lieux. Ces derniers sont d'abord divisés sur la conduite à tenir. La Reine Dihya parvient à les rassembler, par son pouvoir de conviction et sa grande intelligence pour lutter contre l'invasion musulmane. Le résultat ne se fait pas attendre, puisqu'en 697, sous son commandement, ils écrasent l'armée d'Ibn en Nu'man. Celui-ci doit livrer bataille près de l'Oued Nini, à 16 km d'Aïn al Bayda. Les troupes imazighen font tant de victimes que les Arabes appelèrent le lieu "Nahr Al Bala", ce qui se traduit par "la rivière des souffrances". On dit que la rivière était rouge du sang des combattants arabes. Après cette victoire les Imazighen poursuivent les musulmans, et les obligent à se réfugier dans la place forte de Gabès. Le calife Malik rappelle alors ses troupes en Tripolitaine (l'actuel nord de la Libye).
Ibn Khadoun donne dans sa version des détails étranges sur cette première bataille. Il prétend notamment que les Imazighen auraient posséder des chameaux de combat. Si cela a été le cas, ceci signifie qu'ils étaient alliés à une tribu saharienne, ce qui n'est pas établi. Si de telles alliances sont connues lors de la lutte contre les byzantins, dans les siècles précédents, elles ne sont pas établies lors de l'invasion musulmane. Il indique également que les Imazighen auraient capturé quarante musulmans et les auraient laissé rejoindre leur camps, à l'exception de Khaled, que la reine aurait décidé d'adopter. Ce récit lyrique très beau, reste lui aussi sujet à caution. On ne comprend pas pourquoi les Imazighen n'auraient pas gardé les musulmans en otage, pratique courante à l'époque.

Après cette défaite cuisante, les musulmans décident de concentrer leur effort de guerre contre les chrétiens byzantins. En 695, les Byzantins reprennent Carthage aux musulmans. Ils y restent seulement trois ans, avant d'en être définitivement chassés en 698. La même année, Ibn en Nu'man fonde Tunis. En fait, les Byzantins sont obligés de lâcher prise, préoccupés par des tensions au nord de leur empire. La montée en puissance des royaumes chrétiens européens constituent en effet une menace pour eux encore plus grave que l'invasion musulmane.
Le royaume de Dihya reste alors le seul obstacle contre la progression des musulmans à l'ouest et Hassan Ibn en Nu'man reprend l'offensive contre les Imazighen. Conscient de la forte résistance qu'il va rencontrer, il entreprend une conquête systématique du pays. Possédant Carthage et la nouvelle ville de Tunis, il dispose enfin de solides bases arrières. Dihya se trouve alors forcée d'appliquer une politique de terres brûlées. Devant eux, les musulmans ne trouvent qu'un pays détruit. Une partie de la population n'apprécie pas cette politique, encore que ceci ne soit pas historiquement prouvé. Ibn Al Nu'man en tire partie : il obtient des renforts du calife Abd al-Malik en 702. Son armée compte alors probablement plus de 50 000 combattants. Face à une telle force, Dihya n'avait d'autre choix que cette politique désespérée.
Après deux ans de guerre, la bataille finale a lieu en 704, à Tabarqa. Dihya envoie auparavant ses deux fils rejoindre le camp musulman, afin de préserver les intérêts de sa famille. Ceci signifie que, loin de se renier, elle se place au contraire comme un chef de guerre, qui privilégie son combat et se libère ainsi de toute attache familiale. Il est probable qu'elle savait son combat perdu mais loin de plier, elle accepte la mort avec un courage qui force l'admiration.
La bataille de Tabarqa est finalement gagnée par les musulmans, mais ce n'est pas victoire facile pour eux. Les Imazighen, bien que très inférieurs en nombre, opposent une farouche résistance. Ibn Khadoun décrit le combat comme particulièrement âpre et dit que les musulmans bénéficièrent "d'une intervention spéciale de Dieu". Ceci signifie que les Imazighen livrèrent sans doute un combat terrible, qui mis à mal les troupes musulmanes. Finalement, la reine Dihya est capturée et décapitée au lieu-dit Bïr El K?hina (Le puits de la Kahina). Sa tête est envoyée au calife Malik selon certains, jetée dans le puits selon d'autres(2).
Hassan Ibn en N'uman fait preuve d'un grand respect pour le peuple amazigh après sa victoire. Il ne fait pas de prisonniers et ne commet aucun pillage. Sa grande tolérance en fait d'ailleurs l'un des artisans de l'islamisation des Imazighen.


Les fils de Dihya
Les deux fils de Dihya (Ifran et Yezdia) avaient rejoint le camp musulman avant la bataille. Certains auteurs ont vu là une trahison de leur part. C'est à notre avis une erreur, puisqu'il est clairement établi qu'ils rejoignirent le camp adverse sur ordre de Dihya, et qu'ils ne participèrent pas à la bataille de Tabarqa. Ils ne se convertirent à l'Islam et n'obtinrent un commandement militaire qu'ensuite, lorsque Hassan Ibn en N'uman se décida à conquérir le Maroc.
Selon certains auteurs, Dihya avait également un fils adoptif du nom de Khaled, un jeune arabe fait prisonnier lors de la bataille de l'Oued Nini, qu'elle aurait adopté. Même si on ne peut totalement exclure cette adoption, cette thèse nous semble douteuse, et la description qu'en donne Ibn Khaldoun sujette à caution. Il a en effet affirmé qu'elle partagea le lait de son sein entre Khaled et ses deux enfants légitimes, ce qui semble impossible pour une femme âgée. Mais il se pourrait qu'il décrive une cérémonie d'adoption qui était alors en vigueur, ou la femme montrait son sein au fils adopté.

Conclusion.
Longtemps encore, Dihya et ses fils susciteront des légendes. Ceci est sans doute dû autant à sa détermination de femme, insoumise jusqu'au sacrifice d'elle-même qu'à la protection qu'elle donna jusqu'au bout à ses fils, en mère exemplaire. Symbole des femmes imazighen, elle est aussi le symbole de toute une culture, à l'égal de Massinissa et de Jugurtha

Source


Quelques references sur le personnage de la fameuse reine:

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Bataille, R et J, "L'Epopée berbère, El Kahina", Bruxelles, édit. de Belgique.
Beauguitte, G, "La Kahina, reine des Aurès", Paris, édit. des Auteurs, 1959.
Benabdessadok, C, "El Kahina reine des Aurès", El Djazairia (Alger), no 73, 1979
Benichou-Aboulker, B, "La Kahéna, reine berbère", Alger, Soubiron, 1933.
Boisnard, Magali, "Le roman de la Kahéna, d'apres les anciens textes arabes" Paris, édition d'art, H. Piazza, 1925
Boulanger, J, "Une reine berbère", Bulletin de la Société de Géographie d'Alger, no 91, 4e trimestre. 1922.
Cardinal, P, "La Kahéna", Paris, Julliard, 1975.
Castano, J, "La Princesse berbère (La Kahéna)", Montpellier, Imp. Dehan, 1984.
Dejeux, Jean, "Femmes d'Algérie. Légendes, Traditions, Histoire, Littérature", La Boîte à Documents, 1987.
Djelloul, A, "Al Kahena", Paris Debresse, 1957.
Dufourcq, Ch-E, "Kahina ou divine Damnienne?", l'Algérianiste, no 13, 15 mars 1981; "La coexistance des chrétiens et des musulmans dans Al-Andalus et dans le Maghreb au Xe siecle", in Occident et Orient, Paris, Société des Belles Lettres, 1979; "Berbérie et Ibérie médiévale; un problème de rupture" Revue historique, t CCXI, 1968.
Grandjean, G, "La Kahéna, par l'or, par le fer, par le sang", Paris, édit. du Monde moderne, 1926.
Guiramand, S, "Kahéna", Tunis, MTE, 1977.
Hilaire, J, "La Kahéna", Rouen, H. Defontaines, 1918.
Ikor, Roger, "La Kahina", Paris : Encre, 1979.
Kateb, Yacine, "La Kahina", Dérives (Montréal), no 31-32, 1982.
Magdinier, M, "La Kahéna", Paris, Calmann-Lévy, 1953.
Ouadih, M, "Bir al-Kahina", Alger, SNED, 1973
Roth, N., "The Kahina: Legendary material in the accounts of the 'Jewish Berber Queen'", The Maghreb Review, Vol 7. 5-6, 1982
Roudie, E., "La Kahéna", Paris, Libr. théatrale, 1923.
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Stora-Sudaka, H, "Premières immigrations juives en Berbérie. Une Debora berbère: La Kahéna", Société des Conférences juives d'Alger, Bulletin no 3, 1928-1929.
Talbi, M, "Un nouveau fragment de l'histoire de l'Occident musulman (62-196/682-812): l'épopée d'al-Kahina", Les Cahiers de Tunisie, t XIX, 1er et 2e trim. 1971 et Encyclopédie de l'Islam nouvelle édition t IV: Kahina.
Une Jeanne d'Arc africaine, Épisode de l'invasion des arabes en Afrique: La Kahina", Paris, J. André, sd.




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14 septembre 2005 3 14 /09 /septembre /2005 00:00
Juba I:

Né vers 85, mort à Thapsus, avr. 46 av. J.-C., roi de Numidie (vers 50/46 av. J.-C.). Fils et successeur de Hiempsal il embrassa le parti de Pompée durant la guerre civile et battit Scribonius Curio, légat de César (49). Vaincu à son tour avec Q. Metellus Scipion à la bataille de Thapsus, il se fit donner la mort par un de ses esclaves et son royaume fut compris dans la province romaine d'Africa nova.
 
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